Jean-Paul Michel
la beauté violente ; Pull my Daisy du film au livre
Jean-Paul Michel a imposé une voix qui frappe à la fois par sa rigueur et son indiscipline. Elle a l’ardeur et l’impatience d’une interrogation sensible qui n’abandonne jamais la tension rebelle à tout engourdissement, à tout appauvrissement. Elle a cette hauteur qui ne revendique aucune supériorité, aucune arrogance, mais permet un engagement porté au plus vif degré de son déploiement. Composé de deux essais incisifs de Richard Blin et d’une copieuse anthologie, ce livre retrace la trajectoire incandescente de Jean-Paul Michel et donc de quarante années d’une quête exigeante de cette « beauté violente » qui apporte de la profondeur aux choses simples et belles, arrachées à la rugosité du réel. La tâche est d’accueillir la fécondité d’une présence extrême qui se propage comme un feu et de savoir en faire une expérience qui prend un relief inattendu. Cette oeuvre commence dans les années 1970 par les « cérémonies et sacrifices » où l’écriture se place sous le joug nécessaire de la suppression. Le souci fondamental est de ne conserver que les muscles et l’os, la part la plus efficace du texte, en éliminant la graisse et les rondeurs inutiles. Il dit alors « écrire avec des ciseaux », et souhaite révéler sans mentir l’essence de la violence produite par la pulsion de cette coupe. La page s’aère, convoque des élans et des ruptures, des silences et des impacts, et ajuste sa circulation selon la police et le corps des caractères utilisés. RESPONSABILITÉ DE L’ART À la fin des années 1980, la langue adopte un souffle plus ample, accompagne les circonvolutions d’une vie et gagne une fascinante préciosité qui ne se perd jamais dans de vaines démonstrations. L’éclat qui vise au plus juste reste une priorité. Jean-Paul Michel pratique alors diverses formes de captation et de renouvellement : les poèmes dictés, les poèmes de vers irréguliers centrés, les proses coupées, les poèmes à respiration longue. Puis, dans ses Écrits sur la poésie, il insiste sur une qualité de résistance au rétrécissement trivial, et rend hommage à quelques figures exceptionnelles – Hölderlin, Nietzsche, Baudelaire, Mallarmé, Bataille – qui ont inscrit ce combat dans l’ordre de l’intransigeance. Jean-Paul Michel n’accorde aucun prix aux formes qui poussent au compromis. Pour lui, la responsabilité de l’art est d’assurer aux choses et aux êtres, de la manière la plus puissante et la plus cruelle, la grâce qu’ils méritent et la clarté qui leur convient. Richard Blin pointe, avec un bel équilibre de densité et de fluidité, la dimension héroïque de la poésie de Jean-Paul Michel : « Elle n’est pas là pour dire, elle est là pour faire être, pour porter l’être au plus haut de ce qu’il est. Par-delà le bien et le mal, elle donne visage et présence, chaleur et lumière à ce qu’elle nomme et sacre. » Il apporte un soin tout particulier à se situer au plus près de cette confrontation « à la morsure du vrai », sans vouloir en rentabiliser l’efficience, mais pour en saisir toute la résonance et la prolonger dans une réflexion fortement éclairante.
Didier Arnaudet