Le Grand Orchestre des Animaux
Fondation Cartier / 2 juillet 2016 - 8 janvier 2017 The Great Animal Orchestra est à l’origine le titre d’un livre paru en 2012. Le sous-titre en énonçait clairement l’enjeu : À la recherche des origines de la musique dans la nature. L’auteur – Bernie Krause –, un musicien électronique et compositeur de musiques de film devenu bioacousticien dans les années 1970, a depuis donné une forme concrète à cet orchestre en participant, en 2014, avec le compositeur Richard Blackford, à l’écriture d’une Symphonie pour orchestre et paysages sonores (2014) intitulée, à nouveau, The Great Animal Orchestra. Ce titre est, avec une légère variante, celui de cette exposition. On peut y entendre, dans une salle du sous-sol, sept paysages sonores sélectionnés parmi les quelque 5 000 heures d’enregistrement réalisées par Bernie Krause depuis la fin des années 1960: la toundra arctique, la savane africaine, l’océan, la forêt de conifères, etc., sont les étapes de cette traversée des aires biotiques qui est aussi une immersion dans la variété presque sans fin des voix animales. C’est la grande thèse de Krause : les voix animales n’existent qu’en relation les unes avec les autres. S’il existe une beauté animale, elle tient à cette dimension relationnelle. C’est elle que ses enregistrements rendent particulièrement sensible. On y entend l’étagement fréquentiel des voix le long du spectre acoustique, à chaque espèce sa bande passante, comme si elles avaient harmonisé leur occupation de l’espace sonore de ma- nière à demeurer toutes audibles. Elles composent des paysages d’une telle cohérence que l’image orchestrale s’impose d’elle-même. Dans l’installation présentée ici, les sons sont accompagnés de leur traduction spectrographique. Chaque paysage devient une longue frise sur laquelle se dessinent les voix animales : leur hauteur, leur timbre, leur épaisseur, leur courbe intonative. C’est à partir de ces images que Richard Blackford a composé la partition de sa symphonie. L’écoute le confirme : l’essentiel de son travail a consisté à orchestrer les voix animales telles que les enregistrements de Krause les donnent à entendre. Le parcours proposé à la Fondation Cartier s’ouvre par un chapitre intitulé « Avant, après ». On y entend les effets de l’activité humaine sur la présence sonore des animaux dans le paysage et ces effets sont malheureusement prévisibles : l’homme réduit les animaux au silence. Cette ouverture modifie sensiblement notre écoute des enregistrements qu’on entend ensuite. Une autre beauté émerge, celle que l’on relie spontanément à ce qui va bientôt disparaître. Les sons de Krause se mettent à ressembler à des reliques sonores, beaux du fait de l’extinction programmée de leur objet. Cette beauté-là est de peu d’intérêt. Et l’opposition massive qu’elle met en scène entre l’homme et le monde naturel est particulièrement contreproductive. On aurait aimé entendre à la fin du parcours des enregistre- ments qui témoignent de la manière dont les sons d’origine humaine peuvent s’inscrire dans le concert des voix animales, nous pensons notamment à ceux que Louis Sarno a réalisés avec les Pygmées Bayaka de Centrafrique. Peut-être auraient-ils permis aux visiteurs de comprendre que la nature aussi a une histoire et que cette histoire est inséparable de celle des hommes. The Great Animal Orchestra was originally the title of a book published in 2012, with the explanatory subtitle Finding the Origins of Music in the World’s Wild Places. The author, Bernie Krause, is an electronic musician and movie sound track composer who in the 1970s became a bio-acoustician. He sampled this great sound universe by working with the composer Richard Blackford to write a symphony for orchestra and soundscapes also entitled The Great Animal Orchestra (2014), as is this exhibition. In a basement room visitors can listen to seven soundscapes selected from the roughly 5,000 hours of recordings Krause has made since the late 1960s (in the Arctic tundra, African savanna, oceans, pine forests, etc.), traversing from one after another biosphere immersed in the almost infinite variety of animal voices. Krause’s basic thesis is that animal voices form an ensemble whose beauty stems from their interrelationship. This is what his recordings bring out. We hear voices engaging with one another at different frequency levels across the acoustic spectrum. Every species has its bandwidth, as if the animals were deliberately harmonizing their occupation of sonic space so that each would remain audible. The resulting soundscape has so much internal coherence that the metaphor of an orchestra becomes obvious. In this installation, the sounds are accompanied by their spectrographic representation. Each soundscape is part of an extended frieze in which animal voices are arranged by their frequency, timbre, density and intonative curve. Blackford worked with these visual representations to compose his music, as we readily realize when we hear it. Basically what he did was to orchestrate the animal voices that Krause’s recordings made it possible to hear. The show at the Fondation Cartier begins with a chapter called “Before, after.” We hear the impact of human activity on the audible presence of animals in the soundscape. The effect, unfortunately, is all too predictable: human beings reduce animals to silence. This overture clearly conditions the way we hear the recordings that follow. Another beauty emerges, one that we spontaneously connect to what we know will soon disappear. Krause’s recordings are like sound relics, beautiful because of the inevitable extinction of their sources. But how interesting is this particular kind of beauty? Further, the sledgehammer opposition between humanity and the natural world, as this exhibition presents it, turns out to be counter-productive. It would have been more interesting if, at the end of the show, we could have heard how human voices and man-made sounds enter into the concert of animal voices, as has been done, for example, by the recordings Louis Sarno made among the Bayaka Pygmy people in the Central African Republic. Perhaps that would have enabled visitors to understand that nature also has a history, one inseparable from the history of humanity.
Translation, L-S Torgoff