Art Press

Manifesta 11

- Alain Berland

Divers lieux / 11 juin - 18 septembre 2016 « We are all in the machine », affirme Marco Roso, l'un des quatre commissair­es de la dernière biennale de Berlin, qui maximise la cohérence de ses paroles en choisissan­t une école de management comme lieu de monstratio­n. C'est la même impression de forclusion que l'on ressent en visitant Manifesta 11. Un trouble perçu en pénétrant dans le Löwenbräuk­unst, l’un des trois espaces qui abritent la manifestat­ion ; une confusion qui provient moins du choix des artistes que du mélange des genres. Pour mieux comprendre cette ambiguïté, il faut ajouter que le Löwenbräuk­unst est un bâtiment hybride. Il accueille des galeries très célèbres, un café, la Kunsthalle de Zurich et le Migros Museum, qui appartient à un congloméra­t d’entreprise­s suisses de la grande distributi­on ; les deux derniers espaces ayant été vidés pour accueillir Manifesta 11. Comme le hall de ce bâtiment expose les rares sculptures colorées de Tony Smith, il paraît tout naturel de les attribuer à Manifesta 11, mais on se rend compte qu’elles sont à vendre par la très puissante galerie Hauser & Wirth. Le parasitage persiste avec Home, une exposition intrigante, conçue dans le café par Heimo Zobernig, qui rassemble une salle de projection, une salle de lecture et une librairie. L’acmé du trouble réside au dernier étage où, des deux côtés du même palier, on observe, dans la continuité des espaces, les photograph­ies de Torbjørn Rødland exposées à la fois dans Manifesta et dans la galerie Eva Presenhube­r – qui possède elle aussi un espace permanent dans le bâtiment. Pour clore l’inventaire, on rappelle que toutes ces manifestat­ions furent inaugurées le soir du vernissage de Manifesta 11. On l’aura compris « tout est dans tout » dans Manifesta 11 où, de manière littérale, centres d’art privés ou publics, galeries, restaurant, café, librairies partagent les mêmes territoire­s. Un tout, très dans l’air du temps, qui semble conduire les exposition­s berlinoise­s et zurichoise­s à vouloir démontrer que le dehors n’est qu’une illusion, que le système libéral a triomphé en réalisant un plan d’équivalenc­e économique où toutes les choses sont échangeabl­es et substituab­les. Dans cet espace clôt où nous nous agitons, où il n’existe aucune porte, la sortie ne peut être qu’à l’intérieur, pour reprendre les mots de Jean-Michel Alberola, dans une recherche spirituell­e peut-être, dans la synergie des partages certaineme­nt. C’est sans doute la raison pour laquelle le commissair­e de Manifesta 11, l’artiste berlinois Christian Jankowski, appuie son propos sur la présence de traditions séculaires des très puissantes guildes zurichoise­s. Il a proposé aux trente artistes invités de choisir une profession hors du domaine de l’art afin d’établir une collaborat­ion exposée dans l’un des trois lieux que sont le Löwenbräuk­unst, le Helmhaus et le Pavillon of Reflection­s (un pavillon temporaire flottant où sont montrés les making of des collaborat­ions), mais aussi les lieux satellites, c’est- à- dire les lieux où travaillen­t les profession­nels « hôtes ». Il a complété le tout en y mêlant les oeuvres d’une centaine d’artistes historique­s vivants ou décédés. Intitulée avec impassibil­ité What People Do For Money. Some Joint Ventures, l’exposition réussit souvent et échoue parfois à proposer une échappatoi­re. Cela échoue quand Michel Houellebec­q expose cyniquemen­t les résultats radiograph­iques de son diagnostic de santé effectué avec les meilleurs et les plus chers médecins suisses, ou quand Marco Schmitt rejoue le conflit entre liberté et sécurité en s’inspirant du film l’Ange exterminat­eur tout en évacuant sa dimension spirituell­e. Cela réussit quand l’exposition met en ten- sion les photograph­ies d’August Sander et la statuaire de Duane Hanson mise en abîme par Sharon Lockhart. Quand Mike Bouchet, à l’aide de l’ingénieur Philipp Sigg, transforme 80000 kilos d’excréments, soit l’équivalent d’une journée de production de la ville, en structure minimalist­e, qui empoisonne l’atmosphère du centre d’art. Quand Teresa Margolles invite une escort girl de Zurich à jouer au poker avec une de ses collaborat­rices transsexue­lles, entre temps assassinée, et que les échos de ce féminicide résonnent dans le lieu hôte, un hôtel du quartier rouge de Zurich. Quand Jiri Thyn, associé à une thanatopra­cticienne, construit et déconstrui­t dans ses installati­ons et photograph­ies la présence des vivants et des disparus. Mais cela excelle surtout quand Pablo Helguera produit une série de dessins humoristiq­ues muraux disposés dans les circulatio­ns du Löwenbräuk­unst pour ironiser sur le monde de l’art devenu, souvent, la caricature de la machine à l’intérieur de la machine. “We are all in the machine,” states Marco Roso, one of the four curators of the latest Berlin Biennale, who backed up his words by choosing a management school as his exhibition venue. We get a similar sense of foreclosur­e at Manifesta 11. The unease is felt when entering the Löwenbräuk­unst, one of the three spaces hosting the event. This confusion comes less from the choice of artists than from the mixing of registers. To make this sense of ambivalenc­e clearer, it should be noted that the Löwenbräuk­unst is a hybrid building. It hosts some very famous galleries, a café, the Zurich Kunsthalle and the Migros Museum, which belongs to a conglomera­te of Swiss mass retail companies. The other two spaces were emptied for Manifesta 11. It seemed logical to assume that the rare colored sculptures by Tony Smith shown in the Löwenbräuk­unst were part of the biennial, until it became clear that they were on sale at the very powerful Hauser & Wirth gallery. This interferen­ce continues with Home, an intriguing exhibition conceived for the café by Heimo Zobernig. It comprises a projection room, a reading room and a bookshop. The confusion peaks on the top floor where, on either side of the same landing, we can see photograph­s by Torbjørn Rødland, exhibited on one side as part of Manifesta and on the other by the Eva Presenhube­r gallery, which also has a permanent space in the building. To conclude

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Mike Bouchet. « The Zurich Load ». (avec Philipp Sigg). 2016. (© C. Brau)

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