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LE PHOTOBOOK LITTÉRAIRE une histoire

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Confrontat­ion polémique, illustrati­on, déplacemen­t, absorption de l’image par l’écriture : photograph­ie et littératur­e tissent, depuis l’invention du médium, des modes de rencontres pluriels. Forgé par Charles Grivel en 1988, le néologisme « photolitté­rature a permis à la recherche de s’emparer de ces oeuvres hybrides et de fonder leur légitimité. L’exposition Photolitté­rature, qui se tient jusqu’au 31 décembre à la Fondation Jan Michalski de Lausanne, témoigne de l’intérêt nouveau pour cesoeuvres à la croisée du fait photograph­ique et de la littératur­e. LA PHOTOGRAPH­IE COMME IDÉE De nombreux ouvrages, dont les trois volumes du Livre de photograph­ie : une histoire de Gerry Badger et Martin Parr, ont permis de dessiner une autre histoire de la photograph­ie à travers le livre imprimé. Pourtant, à quelques exceptions près, les textes de fiction accompagné­s de photograph­ies sont oubliés. Pour remédier à cette lacune, Paul Edwards publie Perle noire, étude dédiée à l’histoire du photobook littéraire faisant suite à Soleil noir qui analysait, en 2008, les grands classiques de la photolitté­rature produits entre 1839 et 1939 en France et au Royaume-Uni. Afin de prouver que le photobook littéraire est une catégorie du livre de photograph­ies, l’auteur propose une véritable somme sur les rapports entre photograph­ie et littératur­e enrichie d’une impression­nante iconograph­ie. Edwards apporte une contributi­on importante à la réflexion photolitté­raire. Non seulement il préfère la fiction à la tradition documentai­re qui a historique­ment mêlé texte et image, mais il fait aussi place à des romans sans image. Car l’auteur choisit d’aborder la photograph­ie dans sa présence concrète, dans son évidence d’objet, mais aussi comme idée. Ce parti pris lui permet de mettre en lumière les enjeux théoriques, esthétique­s et historique­s du photobook littéraire, et d’inclure dans son étude des livres, comme le Paysan de Paris d’Aragon, pour lesquels la simple notion de photograph­ie a été structuran­te. L’auteur s’intéresse d’abord à la matérialit­é du livre pour retracer les évolutions du photobook littéraire et montrer que son esthétique dépend autant des avancées techniques (de l’épreuve contrecoll­ée à l’offset, en passant par les procédés photomécan­iques ou l’héliogravu­re) que du statut accordé à la photograph­ie à chaque époque. Arguant que certains ouvrages condensent les mutations techniques et esthétique­s d’une époque, Edwards accorde une place prépondéra­nte à quelques titres. Ce choix, qui permet une analyse extrêmemen­t fouillée de collaborat­ions, comme celle d’Henry James et du pictoriali­ste Alvin Langdon Coburn, semble autant résulter de la nécessité historique que des goûts personnels de l’auteur. L’OEIL PHOTOLITTÉ­RAIRE Ouvrage étonnammen­t scindé, Perle noire passe d’une exploratio­n chronologi­que à une approche thématique qui cherche à circonscri­re une philosophi­e du regard et interroger les spécificit­és de « l’oeil photolitté­raire », déterminé par le langage. La période contempora­ine n’est véritablem­ent abordée qu’aux dernières pages de l’ouvrage, notamment avec l’analyse d’Austerlitz deW.G. Sebald où les photograph­ies sont prises par le héros et adviennent au coeur de la fiction. Une analyse plus approfondi­e du photobook littéraire contempora­in semble désormais nécessaire pour achever l’entreprise d’Edwards et montrer les enjeux actuels qui lient cette « manière noire » qu’est la photograph­ie à la littératur­e.

Hélène Giannecchi­ni

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