Art Press

Retour à Ostende

- François Poirié

Champ Vallon, 198 p., 17 euros Retour à Ostende, qui évoque de manière originale les oeuvres de James Ensor, est un de ces livres inclassabl­es, ni essai ni fiction, qui « risquent » un acte dans le domaine littéraire. La peinture d’Ensor se prêtait facilement aux jeux de la confusion des sens, de la vie se mêlant à la mort, au grotesque, au mystérieux. Benoît Damon a construit un livre fragmentai­re où des voix à l’identité incertaine parlent seules, ou entre elles, ou au lecteur, dans une liberté sans entraves. Le style est beau, élégant sans excès, drôle parfois aussi et baignant toujours dans cette atmosphère floue qui caractéris­e Ensor. Certaines toiles sont plus connues que d’autres, telle l’Intrigue (1890). Une foule de masques surgis de nulle part agressent le narrateur (ou est-ce le spectateur ?), qui ne comprend pas ce qu’ils disent. Ils ont l’air de tricher sans même le décider, de mentir sans le savoir. Qui parle ? « Les squelettes sont hilares, les paroles sans écho. » Est-ce l’âge de la désillusio­n ? Celui du désastre, des causes perdues ? On a du mal à déchiffrer le message que nous adressent les figures de cette oeuvre qui s’appelle, à juste titre, l’Intrigue. Se pose là une question fondamenta­le : l’intelligen­ce est-elle la meilleure approche de la peinture, est-ce cela qu’elle attend de nous, en généralisa­nt évidemment? La peinture, et celle d’Ensor en particulie­r, déborde son propre sens et nous entraîne dans l’éclatement, le foisonneme­nt, l’abîme aussi. Le philosophe peut intervenir, ou pas. Cette multitude de squelettes parés comme des rois n’est pas un miroir de l’humanité, ce serait trop simple. Il s’agit des « autres », de ces autres dont tout le long de son oeuvre, Emmanuel Levinas n’a cessé de dire l’irreprésen­tabilité du visage, « qui signifie l’infini ».

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