Il était une fois, le Centre Pompidou
A Sense of History
L’exposition événement de cette fin d’année 2016 est sans conteste l’exposition des « icônes », comme l’annonce son titre, de la collection Chtchoukine à la Fondation Louis Vuitton. Quelle que soit notre admiration pour ces chefs-d’oeuvre de l’art moderne, ce n’est pas le rôle d’artpress d’entretenir ses lecteurs des beautés cézaniennes et matissiennes. S’il arrive que nous nous retournions vers l’histoire, c’est plus pour en rappeler les enjeux et les luttes. Voilà pourquoi nous avons choisi ce moment pour publier l’interview, réalisée par notre collaborateur Igor Dukhan, d’Irina Antonova, qui fut à la tête du musée Pouchkine pendant cinquante ans, et sans qui les collections des musées russes ne seraient pas ce qu’elles sont. Certes, la Russie a eu de grands collectionneurs, et a produit des avant-gardes fondatrices, mais elle a aussi subi la répression soviétique. Pendant plusieurs décennies, la révolution soviétique a enterré les oeuvres d’art révolutionnaires sous les effigies musculeuses du réalisme socialiste. Irina Antonova a fait partie de ceux qui s’employèrent à les exhumer. C’est ainsi qu’elle accueillit en 1981, sur les cimaises du musée Pouchkine pas tellement faites pour ça (voir la photo que nous publions !), l’exposition Paris-Moscou que venait de présenter le Centre Pompidou. Je me rappelle que Pontus Hulten, son commissaire, à qui nous reprochions les concessions faites à la censure soviétique, notamment dans le catalogue, se défendait en répondant que l’exposition contribuait à l’ouverture, au moins culturelle, de l’Union soviétique. De fait, à Moscou, cette exposition permit de restituer aux artistes et au public russes leurs propres avant-gardes. Cette évocation fait se souvenir du temps où le Musée national d’art moderne jouait un rôle majeur avec, comme dans ce cas, une influence sur le cours de l’histoire de l’art (et même sur l’histoire tout court). On se le rappelle dans un moment où le Centre Pompidou s’apprête à fêter son 40e anniversaire et prépare, pour l’occasion… pas grand-chose. Pas d’exposition ambitieuse, pas de grand événement, seulement une ventilation exceptionnelle de ses collections à travers le pays, des co-productions ici et là pour des spectacles, des actions qui semblent répondre avec un décalage de quatre décennies aux accusations qui lui étaient adressées lors de sa création, à savoir de drainer à Paris l’essentiel des ressources. Certes, les temps ont changé, les nécessités ne sont plus les mêmes – ni les moyens. Mais les moyens sont-ils le seul carburant de l’imagination ? N’attendraiton pas d’un grand musée qu’il affiche sa singularité, et son autorité intellectuelle, dans un moment où le monde de l’art traverse une nappe de brouillard faite de plein de bulles spéculatives ?
Catherine Millet Without contest, the must-see event of late 2016 is the exhibition of “icons” (to quote the title) from the Shchukin Collection at the Fondation Louis Vuitton. But howevermuch we may admire these masterpieces of modern art, it is not the role of artpress to tell its readers about the beauties of Cézanne or Matisse. If we do look to the past, it is more to recall the issues and struggles of history. That is why we have chosen this moment to publish the interview given to our contributor Igor Dukhan by Irina Antonova, who directed the Pushkin Museum for some five decades. Without her, Russian museum collections would be very different today. Of course, Russia has had its great collectors and produced seminal avant-gardes, but it also had Soviet repression. For several decades the Soviet revolution buried the country’s revolutionary artworks under the muscle-bound effigies of socialist realism. Irina Antonovawas one of the people whoworked to exhume them. In 1981, for example, she hosted the Paris-Moscou exhibition from the Pompidou Center on the walls of the Pushkin Museum, although they weren’t really made for that kind of show. I remember that Pontus Hulten, the curator, responded to criticisms accusing him of going easy on Soviet censorship, notably in the catalogue, by saying that the exhibition was helping to open up the Soviet Union, at least culturally. Certainly, the show did make artists and the general public in Moscow aware of their own avant-gardes. This recollection brings back the time when the MuséeNational d’Art Moderne played a leading role and, as in this instance, actually influenced the history of art (and even, history, period). It so happens that the Pompidou Center is about to celebrate its fortieth birthday with… Well, not a lot, actually. No ambitious exhibition, no big event, just an exceptional program ensuring the collections are seen all around France, the occasional co-produced show here and there – a series of actions, in fact, that are like answers to the accusation made when the Center opened, namely, that it was concentrating national resources in Paris. True, times have changed: needs today are different, as are the financial resources available. But is money the only driver of imagination? Should we not expect a major museum to show its singularity and intellectual authority at a time when the art world is adrift in a fog full of speculative bubbles?