32e Biennale d’art contemporain
Divers lieux / 7 septembre - 11 décembre 2016 Il suffit d’avoir lu au moins un article à propos du Brésil, au cours des deux dernières années, pour savoir que la 32e Biennale de São Paulo allait avoir une importance particulière. Face à la crise économique, écologique, financière, politique et morale que traverse le pays, le curateur Jochen Volz avait deux options – ou l’autruche ou le cygne ; plutôt que de plonger la tête dans le sol, il a décidé de donner voix à la douleur. Mettant sa longue expérience du Brésil au service de ce pays (il a dirigé pendant sept ans la Fondation Inhotim, près de Belo Horizonte), il donne aux incertitudes sud-américaines la valeur d’un avertissement pour le monde. Pourtant, il ne s’agit pas exactement d’une biennale inquiète. Comme chaque fois, les espaces immenses du bâtiment de Niemeyer, au milieu du parc Ibirapuera, chargent la déambulation d’une trop grande poésie, et les oeuvres apparaissent dans un écrin trop merveilleux, pour vous laisser la boule au ventre. Ce que les artistes donnent à percevoir est plutôt une préoccupation, principalement écologique et sociale, qui témoigne d’un état de la conscience humaine au tournant du 21e siècle. Le mieux, pour la restituer, est de partir… des poubelles. Oui, on parle bien des poubelles de la buvette traditionnellement sise sur la mezzanine. Ce n’est peut-être pas la première chose que vous auriez regardée – et c’est là que commence le problème. Cette année, la restauration est entièrement vegan (d’ailleurs excellente) ; les clients doivent rapporter et vider leur plateau. Sauf que sous le panneau « bouteilles de verre », ils ont jeté en vrac leurs bols et leurs couverts ; sous « bouchons de métal », on trouve pêle-mêle bouchons et bouteilles ; sous « déchets secs », des restes de repas ; sous « déchets organiques », des sets de papier. Quel caprice a poussé les visiteurs à bafouer systématiquement les consignes du recyclage ? Aucun. Cette biennale interpelle l’incurie générale, l’inconscience devant les dangers et les solutions. Et l’incurie, comme l’inconscience, ont répondu présentes. Lorsque l’on erre entre les troncs d’arbres peints de Frans Krajcberg, ou bien parmi les blocs de terre fissurés de Dineo Seshee Bopape, on a donc l’impression de se sentir pris à parti. Il ne s’agit pas d’une dénonciation pourtant, mais d’un chant. Que dit ce chant ? Avec une maturité qui leur fait honneur, les artistes ne regrettent pas la nature perdue ; ils ne font pas mine de défendre des puissances plus grandes qu’eux ; ils ne dénoncent pas non plus des méfaits et des crimes dont l’horreur est évidente ; ils semblent plutôt se demander de quelles obscures magies nous sommes les apprentis sorciers. Le titre de l’installation du Sud-Africain le dit assez par son silence : indeed it may very well be the ___________ itself. Bien entendu, cette écologie des profondeurs n’efface pas la question immédiate de l’usage des ressources, que l’on retrouve, notamment, dans une installation de José Bento où l’on évolue entre de fragiles tables pliantes, construites dans plusieurs essences de bois amazonien, soutenant des boîtes d’allumettes de même matériau. Il suffit de pénétrer l’installation pour sentir son propre corps comme une menace (de tout faire tomber), et il suffit de se pencher sur ces jolies allumettes pour se rappeler comme il est tentant de jouer avec le feu. Si ces questions demeurent urgentes, le propos général ne consiste plus à victimiser la nature comme on l’a fait par le passé ; il s’agit désormais de montrer le lien profond de dépendance entre l’humain et le nonhumain. L’une des grandes réussites de cette biennale est précisément de montrer les aspects de ce codevenir selon plusieurs échelles, plusieurs rythmes : Ruth Ewan le déploie en une grande installation circulaire où le cycle des saisons révolutionnaires s’étale de brumaire en fructidor, outils et végétaux suivant les états de la nature ; Pierre Huyghe filme la lente vie des profondeurs de la matière, tout en jouant des codes sonores des films d’action ; Wilma Martins laisse des bisons et des cerfs colorés hanter ses dessins d’intérieurs en noir et blanc. Or, cette conscience d’un devenir commun englobe et dépasse la force politique d’une revendication. Elle responsabilise plus que n’y parvient tout discours culpabilisant ; elle inspire le désir de s’amender mieux qu’une leçon de morale. Longtemps, on reste à rêver devant la vidéo de Jonathas de Andrade, montrant des pêcheurs qui prennent tendrement dans leurs bras d’énormes poissons pour accompagner leur passage dans la mort. Car, comme chez d’autres artistes de la biennale, on perçoit ici un désir dangereusement inassouvi d’attention. Les propositions les plus marquantes sont donc celles qui parviennent à redonner le sens du soin – souvent parce que les artistes travaillent avec des communautés qui ne sont pas les leurs. Telle vidéo de Barbara Wagner sur les jeunes chanteurs de « funk romantique » ( Estás vendo coisas, 2016), telle tapisserie de Ebony G. Patterson où la jeunesse de Kingston croule sous les marchandises, montrent qu’une approche sensible, ni revancharde ni complaisante, est encore possible. L’indifférence n’est pas une nécessité. On s’aperçoit alors que le centre névralgique de la Biennale – de pair avec les deux tours dressées par Lais Myrrha, mettant en parallèle les matériaux de construction des indigènes et des modernistes – est axé sur trois écrans géants qui diffusent les images du projet Video nas Aldeias. Il ne s’agit pas d’images à vocation artistique, mais d’archives ethnologiques et politiques, rassemblées pour faire sortir les peuples indigènes de l’invisibilité. Car c’est en regardant vers la part refoulée du réel, en donnant la parole aux silences, que notre souci et notre préoccupation pourront un jour faire advenir un monde nouveau. Un monde où les visiteurs, au lieu d’opiner aux discours, protégeront les choses et les êtres les plus fragiles – dont ils font eux-mêmes partie – en faisant, par exemple, la différence entre une bouteille et un couteau. You only had to read an article about Brazil over the last two years to realize that the 32nd São Paulo Bienal was going to be particularly important. Given the economic, ecological, financial, political and moral crisis that the country is living through, curator Jochen Volz had a choice of two positions: ostrich or swan. Rather than bury his head in the sand, he has decided to give voice to suffering. Drawing on his long experience of Brazil (he directed the Inhotim Foundation, near