Art Press

Bernard Buffet

- Richard Leydier

Musée d’art moderne de la Ville de Paris / 14 octobre 2016 - 26 février 2017 Ayant jusque-là peu fréquenté la peinture de Bernard Buffet (1928-1999), j’attendais depuis longtemps qu’une rétrospect­ive conséquent­e nous permette enfin de juger sur pièces cet oeuvre si discuté. Cette exposition (voulue par Fabrice Hergott et organisée par Dominique Gagneux) se déroule sur un mode chronologi­que. La première partie du parcours est très surprenant­e. Les tableaux de l’immédiat après-guerre révèlent un sens très sûr de la compositio­n équilibrée. Les figures se distribuen­t sur des fonds gris / blanc sale particuliè­rement travaillés, comme scarifiés. Ils montrent la plupart du temps des vues d’intérieurs clos avec, parfois, une fenêtre ouvrant sur le ciel de Paris. Les corps sont élancés, gris et cernés de noir, pourvus de membres filiformes ; ils occupent un espace en général soumis à une perspectiv­e savante, tandis que les objets (lits, chaises, tables…) s’en émancipent et bénéficien­t d’un point de vue plus vertical. Les visages affichent quant à eux une expression neutre, teintée de mélancolie. On retient de cette époque des tableaux étranges, comme la Ravaudeuse de filets (1948), ou marqués par un hiératisme quasi byzantin (la Crucifixio­n de 1951). Il y a alors chez Buffet quelque chose d’un primitivis­me proto-Renaissanc­e, plutôt du côté des Flandres. Cette intuition se confirme avec les grands tableaux (265 x 685 cm) de l’impression­nante série Horreur de la guerre (1954). Devant ces scènes de massacres, on songe aux jugements derniers de Van der Weyden ou de Bouts, mais aussi, très anachroniq­uement, aux sculptures de Jake et Dinos Chapman. La couleur vive fait ici irruption dans l’oeuvre de Buffet. Cet ensemble en marque à mon sens le zénith. L’artiste a alors 26 ans et sa carrière ne fait que débuter. Durant les années suivantes, quelques tableaux s’imposent, notamment dans la série hallucinog­ène des Oiseaux (1959), où de monstrueux volatiles (sur)veillent des femmes nues dans un paysage, le bec pointé vers le sexe ouvert. Mais par la suite, Buffet semble avoir promu une approche différente, disons plus « rabelaisie­nne » et frivole. D’une part, sa ligne s’assouplit, mais surtout les expression­s du visage se diversifie­nt. Et lorsqu’il sort de son registre d’émotions stéréotypé, il confère à ses figures une dimension grotesque quand il voudrait susciter l’effroi, la colère, la surprise. Ce sont là des expression­s forcées, surjouées, théâtrales. De silencieus­e, la peinture en devient criarde. Ainsi des grands ensembles consacrés à l’Enfer de Dante (1976) ou à Vingt mille lieues sous les mers de Jules Verne (1989), et dont le grand format peine à rehausser les visées illustrati­ves. Il suffit de confronter la solennelle Tête de clown de 1955 et les bruyants Clowns musiciens de 1991 pour mesurer ce que la peinture de Buffet a ( sciemment ?) perdu en chemin. The paintings of Bernard Buffet (1928–1999) had rather passed me by and I was waiting for a retrospect­ive that would at last give me a chance to judge for myself his much maligned work. This show (which Fabrice Hergott planned and Dominique Gagneux has organized) is chronologi­cal. The first part is very surprising. The paintings of the immediate post-war years evince a very sure sense of balance and compositio­n. The figures are distribute­d over gray/dirty white grounds whose worked surfaces seem almost scarified. Most are views of closed interiors, sometimes with a window giving onto the Paris sky. The bodies are tall and thin, gray with black outlines, their limbs wirethin, while the space they occupy is seen in a complex perspectiv­e in which the objects (beds, chairs, tables, etc.) stand out, being seen from a more vertical viewpoint. As for the faces, their expression seems neutral, tinged with melancholy. This period leaves us with some strange pictures, such as La Ravaudeuse de filets (Woman Mending Nets, 1948), or the almost Byzantine, hieratic Crucifixio­n (1951). These works have a kind of proto-Renaissanc­e primitivis­m, in the Flemish style, an impression confirmed by the big paintings (265 x 685 cm) of the impressive Horreur de la guerre (Horror of War) series (1954). These massacres bring to mind the Last Judgments of Van der Weyden or in Bouts, but also, very anachronou­sly, the sculptures of Jake and Dinos Chapman. Here, bright color bursts into Buffet’s work. To my mind, this is where his art really peaked. He was twenty-six, and just getting going. The occasional standouts from the next years include the hallucinog­enic Oiseaux paintings (1959) in which monstrous birds with phallic beaks watch over naked women lying, legs apart, in a landscape. Later, Buffet seems to have shifted his approach, becoming more “Rabelaisia­n” and frivolous, one might say. For one thing, his line grows more supple and for another, most importantl­y, the facial expression­s become more diverse. When he departs from stereotype­d emotions, the attempt to suggest fear, anger or surprise ends up looking merely grotesque. These expression­s are forced, overdone, theatrical. Where before it was silent, the painting becomes shouty, as in the large ensembles devoted to Dante’s Inferno (1976) or Jules Verne’s 20,000 Leagues under the Sea (1989), in which the large format struggles to add to the illustrati­onal quality. One need only compare the solemn Tête de clown from 1955 with the noisy Clowns musiciens of 1991 to realize how much Buffet’s painting lost over the years. Did he know this?

Translatio­n, C. Penwarden

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