Bernard Buffet
Jusqu’où peut-on aller dans le révisionnisme ? La question se pose à ceux qui, sans avoir rechigné aux réévaluations des dernières décennies, restent attachés à des principes modernistes. C’est mon cas. J’appartiens à l’une des générations qui avaient jeté l’oeuvre de Bernard Buffet dans les poubelles de l’histoire. Il faut dire que nous avons connu le contexte plombé de ce qui s’appelait l’École de Paris, dont les vertde-gris de Buffet étaient le symbole, et que nous éprouvions un sérieux besoin de soulever le couvercle. À l’annonce de la rétrospective Buffet au musée d’art moderne de la Ville de Paris, j’ai eu l’impression que le ciel plombé me retombait sur la tête. La rétrospective est énorme, bien faite, pleine d’immenses tableaux à découvrir. Et forcément, quand il est donné d’approcher aussi bien une oeuvre, et la personne de son auteur, on nuance son opinion. En gros, je suis sortie de ma visite avec un jugement qui rejoint celui de Pierre Bergé, qui partagea la vie de Buffet pendant huit ans et qui, avec une simplicité et une honnêteté que n’ont pas tous les critiques professionnels, dit, dans le catalogue, à la fois son admiration et son regret que Buffet « ait cédé à la facilité ». « J’étais là lorsqu’il a commencé à aligner sur le mur de son atelier des toiles qu’il allait peindre en séries […] et je n’ai pas réagi. » Disons que le périmètre dans lequel je rangerais le meilleur du peintre est simplement plus étroit que celui que, je suppose, dessine l’ancien amant. Bernard Buffet a peint en 1946, à dixhuit ans (oui, vous avez bien lu, dixhuit) ce que je considère son chef-d’oeuvre, une Déposition de Croix. On y trouve toutes les qualités de sa peinture dans les années