JEAN-LUC MOULÈNE une leçon de sculpture
Le Centre Pompidou présente, jusqu’au 20 février 2017, non pas une rétrospective de l’oeuvre de Jean-Luc Moulène, notamment photographique, mais une trentaine de pièces inédites, axées sur son travail, plus récent, sur les objets. La technologie issue du design industriel, le recours à la théorie des ensembles associés à une réflexion sur la matière, la forme et la couleur mettent en lumière la complexité d’un univers à la fois ludique et déroutant.
Électron libre au sein du paysage artistique français, Jean-Luc Moulène a joui d’une importante visibilité ces vingt-cinq dernières années, aussi bien dans l’Hexagone qu’à l’étranger, comme l’atteste notamment la présentation conséquente de ses travaux à la DIA Beacon, près de New York, en 20112012. Il n’en demeure pas moins que son oeuvre, au sens exhaustif du terme, demeure confidentielle, l’artiste n’ayant cessé de multiplier des pistes « complémentaires » traduisant une forte résistance à toute approche globale qui en épuiserait le potentiel. Aussi quand le Centre Pompidou l’a sollicité en vue d’une rétrospective, là où d’autres de ses confrères et consoeurs auraient sauté sur l’occasion pour étaler leur trajectoire sous toutes ses facettes, Moulène a préféré proposer une exposition d’oeuvres récentes et inédites sans pour autant se soustraire à l’exercice qui consisterait à exposer les « pratiques opérationnelles » et les « protocoles » caractérisant son parcours et ses différents jalons. Ne nous méprenons pas : l’artiste est joueur et le cahier des charges selon lequel ses protocoles seraient exposés à Beaubourg n’est finalement qu’un prétexte à la mise en place de nouvelles pistes, quand bien même cellesci se nourrissent d’anciennes. Moulène affiche donc un refus de la rétrospective et de l’idée, qui la sous-tend, de « reconstruire ce que l’on a fait avant ». Il s’en est expliqué dans un entretien qu’il nous a accordé début octobre. Entretien dans lequel on peut d’ailleurs voir la métaphore même de sa manière, ludique et déroutante, de procéder. Initialement, il était question de publier une interview en bonne et due forme. Mais, au moment de commencer, l’artiste a finalement refusé de se faire enregistrer, se méfiant, à ses dires, de ses propres mots et de leur caractère définitif et irréversible. S’est ce- pendant ensuivi un long monologue, ponctué par de rares questions, laissant transparaître, via le rythme de ses phrases, souvent saccadées, et la mise en place de silences bien dosés, une qualité toute musicale. À travers sa parole, à l’image de ce qui se trame depuis plusieurs décennies dans sa démarche, Moulène s’appuie en effet souvent sur des lignes « mélodiques » qui s’enchevêtrent par le biais d’un faisceau de voies (et de voix) discursives relevant du contrepoint. Cette qualité musicale, nous la retrouvons enfin dans nombre de références. Fils de musiciens, l’artiste travaille actuellement à la construction d’un atelier, dans le Perche, pensé par Didier Faustino. L’espace qu’il faudra le moment venu investir sera, dit-il, structuré comme une fugue de Bach. Le free jazz, le rock et le punk seront également mentionnés lors de l’entretien. Et si l’oeuvre de Moulène relevait justement d’une vaste partition qui comprendrait les familles de travaux pris isolément, mais aussi leurs conjugaisons, telles qu’elles s’offrent à lui puis au public au moment de l’exposition ? On a beaucoup glosé sur la prétendue dimension hétérogène de son entreprise artistique, fort heureusement battue en brèche par certains de ses commentateurs, tels qu’Éric de Chassey ou Nathalie Delbard, laquelle a signé une remarquable monographie aux Éditions Petra (1). Car cette supposée hétérogénéité n’est, à regarder de près, que la mise en accord de notes prétendument disparates que l’artiste parvient à fédérer. Dans sa préface, Delbard note