Art Press

Julien Bosc

- Véronique Bergen

Le Corps de la langue

Quidam, 76 p., 10 euros Pour explorer les zones obscures où le corps et la voix se rencontren­t, Julien Bosc choisit la voie escarpée du récit poétique. Scandé en courtes scènes où le désir cherche à tâtons les vocables qui lui manquent, le Corps de la langue, préfacé par Bernard Noël, décrit un rituel où Éros choisit la dévoration, l’échange des fluides. Le temps d’une séance tarifée, un homme se met à la merci d’une femme chargée de rendre voix à celui qui en est amputé. Dans des tableaux qui tiennent de Klossowski, Mandiargue­s (pour l’agencement des fantasmes), de des Forêts (pour l’impossibil­ité du dire), Bosc déroule une cérémonie de la conjuratio­n. Sucer les doigts, cracher, palper, infliger ou subir une douleur qui se transmue en jouissance jusqu’à ce que la voix renaisse des entrailles. Le mouvement textuel suit les tracés de la salive, le déplacemen­t de la peau vers les mots. Hachuré, brisé par de longs blancs, le poème traduit le saut du silence à un verbe réenfanté par la fusion des corps. Clairsemés, les mots s’arrachent au mutisme de l’homme. Cette violente d’extraction du dire est portée par un dispositif poétique logé à l’enseigne de l’économie et du convulsif. L’écriture s’engendre au fil de la rencontre charnelle, se tenant au plus près de cette remontée organique du langage. Entre chienne et déesse, la femme féconde de sa langue, de ses ordres, la bouche de l’homme. Au cours d’une maïeutique érotique, elle régurgite entre les lèvres de son client des lambeaux de matières afin de le guérir de sa maladie du silence, de débloquer les vocables entravés. Bosc délivre un étonnant chant poétique tournant autour de l’absence, ciselé dans une langue nerveuse, tendue comme un spasme. Le pacte scellé le temps d’une passe se rejoue magiquemen­t entre l’auteur et le lecteur.

 ??  ??

Newspapers in English

Newspapers from France