Robert storr
New york
Bruce Nauman est l’innovateur le plus radical et le plus protéiforme de l’art contemporain depuis la fin des années 1960. Aucun médium – vidéo, installation, performance, son –, dont il n’ait été un pionnier, dont il n’ait testé les limites et interrogé les prémisses, sans jamais rien tenir pour acquis quant à son sujet et à son matériau originels – le corps humain. Du corps humain, tout (ou presque) ce qui est naturel est sujet au doute et à l’investigation ; tout (ou presque) ce qui ne lui est pas naturel est libre d’accès. Qualifier Nauman d’humaniste, par conséquent, n’est pas invoquer une esthétique affirmative surannée, mais simplement reconnaître l’anthropomorphisme cohérent des paradigmes qu’il a choisis. Par ces choix mêmes, il est néanmoins entré à plusieurs reprises en dialogue avec des précédents inattendus de l’histoire de l’art, dialogue parfois si intériorisé qu’il en confine au monologue autistique. Parmi ses interlocuteurs fantômes figurent Henry Moore – jugé « condamné à échouer » dans plusieurs oeuvres de jeunesse – ainsi que des représentants de la sculpture figurative traditionnelle de la Renaissance à Alberto Giacometti. La relation de Nauman avec ce dernier est d’ailleurs actuellement le sujet d’un duel d’homme à homme à la Schirn Kunsthalle de Francfort, pour lequel j’ai rédigé un article du catalogue. frises vidéo, dans lesquelles l’artiste pose immobile ou en train de marcher. Leur titre collectif, Contrapposto Studies, peut sembler contredit par ces séries d’images plus grandes que nature, posées côte-à-côte, montrant un homme dégingandé en jean et tee-shirt, faisant directement face à la caméra ou lui tournant le dos, et ne présentant pas cet enroulement du corps sur lui-même propre au contrapposto traditionnel. (La composition vidéo n’est que l’une des sept oeuvres dispersées sur trois étages sous le même titre.) Comme le groupe contrôle d’une expérience scientifique, ces compositions initiales – chacune d’entre elles étant formée de l’empilement de sept coupes transversales du corps du modèle – établissent plutôt un gabarit servant à mesurer des variations ultérieures employant le même nombre d’unités, variations dans lesquelles le corps du modèle est successivement renversé et retourné à des intervalles échelonnés, de sorte qu’à un moment donné son torse de profil est orienté dans la direction opposée à celle de ses jambes. Le résultat est une sorte de vidéobouffe erratique et saccadée qui en appelle moins aux gracieuses figures des bas-reliefs grecs et des portiques qu’à l’élasticité surnaturelle de Earl Snakehips Tucker et d’autres danseurs des premiers temps du jazz, dont Nauman a étudié les vieux films qu’il aime passer à sa famille et à ses amis pour les amuser. Pour la première fois depuis plusieurs années, le protagoniste en est l’artiste lui-même. Celui-ci n’est plus cependant le souple jeune homme qui apparaît dans des performances vidéos cultes comme Slow Angle Walk (Beckett Walk) (1968), mais un homme entre deux âges, ventru, nettement moins souple et nettement moins assuré sur ses deux pieds. L’écart entre le souvenir du premier et l’ingrate présence du second n’est pas pour rien dans l’émotion que procurent ces oeuvres récentes. Elle est encore accentuée par la pensée de la maladie et des opérations que Nauman a dû subir au cours des trois dernières années. Cela étant dit, le mélange d’autodérision spirituelle et de vulnérabilité existentielle qui informe ces installations composites, l’ingénuité de leur conception formelle et de leur réalisation tech- nique, et la confiance en soi que trahit sa maîtrise dans le remodelage de la grande tradition, prouvent, si besoin était, que Nauman reste l’artiste le plus incisif de l’avant-garde contemporaine. Bruce Nauman has been the most protean and most radical innovator in contemporary art since the late 1960s. Name the medium—video, installation, performance, sound— and he has pioneered it or tested its limits and questioned its premises. He takes nothing for granted least of all his primary subject and material—the human body. Little if anything that is natural to it is beyond probing doubt, and little if anything that is unnatural to it is out of bounds. To call him a humanist, therefore, is not to invoke outmoded ideas of affirmative aesthetics but simply to recognize the consistently anthropomorphic paradigms he has chosen. Nevertheless by those very choices he has repeatedly entered into dialogue with unexpected art historical precedents, dialogue that is sometimes so internalized as to border on autistic monologue. His phantom interlocutors include