Au pays de la fille électrique
José Corti, 149 p., 19 euros D’emblée, Marc Graciano conduit au coeur d’une violence qu’on n’aurait osé imaginer avant de lire Au pays de la fille électrique. En quelques pages, la fille est laissée à terre et nous, sous le choc du viol qu’elle vient de subir, dont aucun détail ne nous est épargné. Ne sachant plus qui d’elle ou de nous il faut se préoccuper maintenant, s’ouvre l’espace d’un voyage où se dessine une cartographie splendide du corps et du paysage. Elle marche, on ne sait depuis combien de temps, le long de la nationale, et tous ses actes sont un ravissement. L’écriture rigoureuse et sensible de Marc Graciano, dont les deux premiers romans témoignaient déjà, décrit le déroulé de tout événement, même le plus infime, dans une cadence singulière et répétitive, comme les pensées se déploient au cours de la marche. La fille suit le fil de l’eau. Elle longe, de près ou de loin, les rivières dans lesquelles elle se lave et fait sa lessive avec application. Ses gestes sont toujours les mêmes, et si l’on ressent le soin qu’elle leur apporte, on mesure aussi l’étendue de son traumatisme. Le flot de la pensée est comme mis à nu, et le lecteur, sous le choc du premier chapitre, savoure le pouvoir salvateur des émotions suscitées par la rencontre d’un chien errant ou d’un cerf, goûte les interactions infimes et sensuelles avec le monde. Dans ce récit de l’entre-deux, dont les 84 chapitres placés entre le prologue et l’épilogue sont d’une beauté véritable, la cruauté infinie des hommes – à l’exception de quelques-uns : l’infirmier de l’hôpital psychiatrique, le vieux gitan, présents ou perdus eux aussi dans une société dépravée – fait face à la luxuriance de la nature. Si bien qu’il n’est pas rare d’interrompre la lecture afin de sentir pleinement le frémissement que provoque l’entrée dans l’eau froide.