ONUMA NEMON
cosmologie
« Le sang circule autour et la forme découle de ça, de l’inscription impérieuse ; le plan s’est construit à mesure ; pas d’organisation suprême, d’horlogerie kantienne, même récente. » La dernière phrase d’États du monde est à prendre au sérieux tant elle décrirait la cosmologie Onuma Nemon, ce vaste projet qui inclut jusqu’au nom de son auteur, rendu anonyme par le jeu de sa signification : « Mon nom est personne. » Une seule oeuvre en expansion, entamée au début des années 1960, élaborée par unités de personnes et de lieux et se justifiant par l’ambition de la totalité et la prolifération du domaine fictionnel. En 2004, Quartiers de ON! avait pu sembler un paroxysme. États du monde prouve le contraire. Mettray offre des moyens aboutis, une mise en page lumineuse et l’idée d’insérer des autocollants dans les marges du texte. Ossip, l’ancêtre tzigane, ouvre le chant. Il incarne le « fond diffus cosmologique ». Son destin est croisé aux souvenirs de Staline, le Gros Sosso. On comprend d’emblée qu’on a à faire à une érudition sublime, broyée par la moulinette du rêve psychanalytique. Les références donnent le tournis, les intuitions fictionnelles se vérifient par le sens acéré des disciplines historiques. L’histoire délire par l’anecdote et la volonté des corps. TRIBU DES GRAS Ces vies sont faites de modestie. Une ribambelle de grands ancêtres apparaîtra, jusqu’à l’arrivée de Fernande, énormité, mère nourricière de treize enfants. Par elle se déploie le quartier Saint-Michel de Bordeaux, bain mythologique de la seconde partie. On a plaisir à retrouver cette tribu des gras, tant elle prit importance au fil des textes précédents. Sans cesse l’action est coupée de rythmes qui lui sont opposés. Le sens de l’histoire ne ne suit pas une chronologie stricte. L’héritage avant- gardiste des années 1960 est un guide au lecteur perspicace, habitué des formes réfractaires. Jamais ne s’arrête la machine à produire de l’existence sous forme de langage. Cette méthode narrative, un grand décentrement du monde, fabrique de l’hétérodoxe. Que connaîtrions-nous avec certitude, si nous n’attendions de la littérature que la seule dimension univoque de la vision d’ensemble ? Lire dans le brouillard est l’expérience propre aux fictions ouvertes, si peu faites pour se refermer, dont l’emportement est conçu comme une carte qui se déploie sans cesse. Cet agrégat sous forme de voix, fleuve de fragments juxtaposés, incipits fixés là, s’inscrit dans une pratique dont l’importance seule est de faire et de produire. Une ambition folle dans une modestie de la pratique serait la justification ultime de cette entreprise exorbitante, cette bible des pauvres. États du monde met au jour ce travail souterrain, comme une possibilité de présentation de la cosmologie. Il n’y a ni contour ni certitude, nulle histoire d’ensemble racontée mais une somme de mini épopées. Car, le sens du drame imprègne chaque page, la sensibilité frôle chaque action. Surtout, l’élan de la langue est digne des grands. Il faut accepter l’humilité face au poids de la part non éditée, inconnue. L’ambition du projet est rare et la figure d’Onuma Nemon encore injustement ignorée. « Et désormais nous sommes dans un scénario d’inflation éternelle. »