Art Press

Tanguy Viel

Article 353 du Code pénal Minuit, 176 p., 14,50 euros

- Didier Arnaudet

Martial Kermeur est pareil à un boxeur qui prend des coups sans pouvoir réagir parce qu’il n’a pas encore intégré le jeu de l’autre. Il lui faudra le coup de trop, celui qui frappe là où la douleur rend enfin lucide et donne la capacité de combattre. Il n’est alors plus question de gérer l’attente à force de détours et de parenthèse­s, mais de prendre conscience du problème et donc d’assumer la conséquenc­e redoutable qui en découle, celle d’éliminer de manière définitive son adversaire. À l’occasion d’une pêche en mer, Martial Kermeur bascule par-dessus bord le promoteur immobilier Antoine Lazenec et, désormais seul à la barre, ramène le bateau au port. Devant le juge, assis sur une chaise en bois, il décide d’occuper sa place, d’être dans une proximité maximale avec son histoire et de la dénouer comme bon lui semble. Cette histoire accumule les points de déchirure : la fermeture programmée de l’arsenal, le billet de loto gagnant non validé, son divorce, car « tout ce qui s’est passé, c’est de ta faute », la condamnati­on de son fils pour vandalisme aggravé, la fatigue qui engendre des cassures douloureus­es. Mais la liste ne s’arrête pas là. Antoine Lazenec y apporte une touche finale : un investisse­ment au rendement attractif dans un grand appartemen­t avec vue sur la mer, mais qui ne dépassera jamais le stade du « rectangle vide » et engloutira toute la prime de licencieme­nt de Martial Kermeur. Alors l’article 353 du Code pénal ? Cette « intime conviction » du juge est le rebond qui ordonne toute l’histoire dans l’axe d’une profondeur rendue vibrante. Par l’élasticité saisissant­e de son écriture, Tanguy Viel nous implique sans faiblir dans les rouages cruels d’une existence fortement chahutée, déstabilis­ée, durement blessée, mais en quête d’apaisement.

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