au temps des technologies Brut Now, l’art brut
Salle des expositions des Musées et Espace Multimédia Gantner / 29 octobre 2016 -16 janvier 2017
L’un des grands mérites de cette exposition est de mettre à jour la notion d’art brut, prisonnière d’un dogmatisme qui n’est plus d’actualité à l’heure où les technologies numériques s’infiltrent jusque dans les campagnes les plus reculées. Face à ce nouveau paradigme d’un art brut 2.0, les commissaires (le galeriste Christian Berst, en association avec Antoine Capel et David Lemoine du collectif BrutPop) incitent à réviser et actualiser la définition de Dubuffet, à la barbe d’un certain purisme. N’en déplaise aux gardiens du temple, Brut Now porte un regard aiguisé sur ces pratiques hors-norme, mais pas aussi acculturées qu’on pourrait le croire, comme en témoignent la plupart des oeuvres exposées. Aussi psychotiques soient-ils, leurs auteurs se réapproprient tout un pan de la culture populaire (télévision, publicité, clips, jeux vidéo), dont ils semblent avoir pleinement conscience. On a tendance à mésestimer l’influence de la société de consommation et de l’industrie du divertissement dans ces pratiques monomaniaques, alors qu’ils y transparaissent de manière flagrante. Il en va ainsi de Yoann Goetzmann et ses fascinantes séries de chiffres associées à des captures d’écran du jeu télévisé Des chiffres et des lettres, ou de Rhalidou Diaby, dépositaire de la marque imaginaire Moi Jouterie dont elle décline obsessionnellement le logo. Chez Dan Miller, ce sont des agencements de mots tapés sur une machine à écrire, selon un principe de répétition et d’accumulation qui n’a rien à envier aux poèmes lettristes. Quant au jeune Enzo Schott, il bâtit avec le jeu vidéo Minecraft des architectures virtuelles qu’il immerge, donnant à voir des topographies de villes inondées. La photographie n’est pas en reste, avec notamment de splendides selfies anonymes d’un fétichiste des cuissardes, dénichées dans un marché aux puces. D’autres créations gravitent autour de l’informatique et de la bureautique (le système d’exploitation mis au point par le programmeur Terry Davis, les photocopies de stylos Bic et d’emballages plastique de Bintou Minte), de la métaphysique et des mathématiques (les cosmogonies ésotériques de John Urho Kemp, les équations compulsives de Melvin Way, les diagrammes chiffrés d’Oscar Morales ou de Zdenek Kosek). Du génie à l’autisme, la frontière est souvent mince. Un versant annexe s’attache aux travaux sonores, ceux de Hans Krüsi ou de Jean-Marie Massou (filmé par Antoine Boutet dans le très beau documentaire le Plein Pays), mais aussi à des ateliers axés sur la pratique du noise en institution psychiatrique. L’exposition s’enrichit par ailleurs d’un catalogue, qui recèle de vibrants plaidoyers pour désenclaver ces productions artistiques du ghetto dans lequel elles sont le plus souvent forcloses, alors qu’elles ne dépareilleraient pas dans une exposition d’art contemporain (c’est d’ailleurs le cas des polaroids de Horst Ademeit, exposés cette année à Paris Photo).
Julien Bécourt One of the great strengths of this exhibition is that it updates the notion of Art Brut, which is hampered by a dogmatism that is particularly out of place at a time when digital technologies are reaching into the remotest territories. This show curated by gallerist Christian Berst with Antoine Capel and David Lemoine of the BrutPop collective puts forward the paradigm of Art Brut 2.0, encouraging us to rethink and revisit Dubuffet’s definition, whatever the purists may think. The keepers of the temple may be miffed, but Brut Now casts a keen eye over these unorthodox practices that are nevertheless not as cultured as one might think. Witness most of the works on show here. However psychotic they may be, their makers are reappropriating a whole swath of popular culture (television, advertising, clips, video games) of which they seem to have a clear-eyed awareness. We tend to underestimate the influence of consumer society and the entertainment industry in these monomaniac practices, when in fact their presence is flagrant. Take for example Goetzmann and his fascinating series of screen captures from the French TV games Des Chiffres et des Lettres, or Rhalidou Diaby, with his imaginary Moi Jouterie brand, whose logo he explores obsessively. With Dan Miller we get arrangements with words typed out on a typewriter based on a principle of repetition and accumulation which could easily bear comparison with Lettriste poems. As for the young Enzo Schott, he builds virtual architectures using the video game Minecraft, then immerses them to produce topo- graphies of flooded cities. Photography also gets a look-in here, notably in the form of splendid anonymous selfies by a thigh-boot fetishist, which were picked up on the flea market. Other creations gravitate around computer and office technology (the operating system created by programmer Terry Davis, photocopies of Bic ballpoints and plastic wrapping by Bintou Minte), metaphysics and mathematics (the esoteric cosmogonies of John Urho Kemp, the compulsive equations of Melvin Way, the numbered diagrams of Oscar Morales and Zdenek Kozec). The border between genius and autism can be very fine indeed. Another aspect considered here is work with sound, notably by Hans Krüsi and Jean-Marie Massou (filmed by Antoine Boutet in a very fine documentary, Le Plein Pays), but also workshops dealing with the practice of noise in psychiatric institutions. The accompanying catalogue contains some vibrant pleas in favor of releasing these productions from the ghetto to which they are usually confined, arguing that they would be perfectly in place in a contemporary art exhibition (and in fact Horst Ademeit’s Polaroids, shown here, did feature at Paris Photo last year).
Translation, C. Penwarden