Art Press

La photograph­ie Étienne Hatt

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« Nous savons tous à quel point une collection uniquement composée de chefs-d’oeuvre est ennuyeuse. » À ces propos d’Azu Nwagbogu, Roberta Valtorta semble répondre que le risque est faible tant « la photograph­ie est un art de la série ». Le premier est à la tête de l’African Artists’ Foundation installée à Lagos. La seconde dirige la Fondazione Museo di fotografia contempora­nea de Milan. Les deux font partie de la vingtaine de responsabl­es ou d’anciens responsabl­es de collection­s de photograph­ies à s’être prêtés au jeu d’une enquête. Conduite par Clément Chéroux et Karolina Ziebinska-Lewandowsk­a, du Centre Pompidou, cette enquête accompagna­it l’exposition, à Paris Photo, d’un choix de photograph­ies acquises depuis dix ans par le musée. De larges extraits figurent, sous la forme de questionsr­éponses, dans le catalogue de l’exposition ( The Pencil of Culture, Filigranes / Centre Pompidou, 208 p., 33 euros). Rarement convenues, prenant même parfois des allures de manifestes, les réponses offrent une intéressan­te plongée au coeur de cette mission muséale, moins visible que l’organisati­on d’exposition­s, qu’est l’enrichisse­ment des collection­s.

NOUVEAUX ENJEUX

Ni représenta­tive ni exhaustive – l’Amérique du Nord est surreprése­ntée tandis que l’Amérique latine et l’Asie sont complèteme­nt absentes –, l’enquête réunit néanmoins des institutio­ns généralist­es, d’autres spécialisé­es, comme l’Archive of Modern Conflict. Avec ses quatre millions d’images de toute nature, cette dernière peut sembler atypique. Pourtant, apparaît bientôt la singularit­é de chacune de ces entités, tout comme la fausse simplicité de la distinctio­n entre institutio­ns généralist­es et spécialisé­es. Sur ce dernier point, Quentin Bajac, du MoMA, donne un exemple probant : « Si nous racontons l’histoire du modernisme européen, la photograph­ie est relativeme­nt soluble dans l’art. Mais si l’on se focalise sur la scène américaine, c’est beaucoup plus difficile, parce qu’il y a là-bas une sorte de spécificit­é de la photograph­ie : elle dialogue beaucoup moins avec les autres discipline­s. » Il ressort de cette enquête que les déterminan­ts historique­s des acquisitio­ns, qui font plutôt consensus, comme l’histoire nationale, celle de la photograph­ie ou celle de l’institutio­n, sont largement contrebala­ncés par des enjeux contempora­ins auxquels les uns et les autres répondent souvent en ordre dispersé. Le principal est le poids du marché, entendu comme prix et tendances, que les institutio­ns ont bien sûr conforté par leurs acquisitio­ns et exposition­s. La hausse des prix interdit certains achats et oblige à explorer des champs moins convoités. Elle a aussi un effet paradoxal, voire pervers. Florian Ebner, du Museum Folkwang d’Essen, a ainsi constaté qu’un prix élevé est souvent une condition pour obtenir l’aide d’un mécène. Aussi, dit-il, « il est devenu moins difficile d’avoir des ensembles coûteux que des travaux passionnan­ts de jeunes artistes ». D’autres reconfigur­ations élargissen­t le champ des collection­s et posent, à chaque fois, des questions spécifique­s. La mondialisa­tion a favorisé l’émergence de nombreuses scènes qu’il ne semble plus possible de négliger. La Tate Modern, qui entend, selon les mots de Simon Baker, éviter « la logique centre/périphérie », s’appuie sur des conservate­urs à Londres et des conservate­urs adjoints vivant à l’étranger. La prise en compte croissante de la place des femmes et des minorités ethniques dans le champ de l’art est aussi très sensible, notamment aux États-Unis, où le MoMA et le Getty mènent des politiques actives en faveur des artistes afro-américains. Parmi ces élargissem­ents, c’est sans doute la question du vernaculai­re qui divise le plus. À quelques exceptions près, comme le militantis­me d’un François Cheval au musée Nicéphore-Niépce de Chalon-sur-Saône, la distinctio­n historique entre les États-Unis, où cette photograph­ie non artistique a été collection­née pour elle-même, et l’Europe ne semble pas devoir s’effacer. Au Museum Folkwang, la photograph­ie vernaculai­re n’existe qu’à travers les artistes qui se l’approprien­t. À la Tate Modern, dont la collection de photograph­ie est encore jeune, ce n’est pas une priorité. Au Moderna Museet de Stockholm, elle n’est plus activement collection­née depuis plusieurs années.

FIERTÉ

Dans ce dialogue à distance manque la voix de Clément Chéroux, aujourd’hui parti au MoMA de San Francisco, mais alors responsabl­e du Cabinet de la photograph­ie du Centre Pompidou. Sans doute trouvera-t-on dans les oeuvres de l’exposition des éléments de réponses à certaines des questions posées à ses confrères. « Considérez-vous qu’il est de votre rôle de remettre en cause les grands canons ou les grands récits de l’histoire de la photograph­ie ? » La mise en avant de figures méconnues, voire inconnues, à l’instar d’Alain Baczynsky, qui rejouait dans un photomaton ses séances de psychanaly­se, appelle une réponse positive. « Quelle place donnez-vous à votre subjectivi­té ou à vos préférence­s dans une politique d’acquisitio­n raisonnée et s’inscrivant sur le long terme ? » Une place réelle, si j’en crois ces visiteurs d’un panorama historique photograph­iés par Arno Gisinger que Clément Chéroux défend à raison depuis plus de vingt ans. En revanche, pour la question « qu’est-ce qui, dans votre politique d’acquisitio­n, vous apporte ou vous a apporté le plus de fierté ? », je me suis adressé à l’intéressé : « Pendant les dix années passées au Centre Pompidou, j’ai accompagné l’entrée en collection d’environ 10 000 photograph­ies. Il y a eu l’exceptionn­elle acquisitio­n de la collection Bouqueret, mais aussi des ensembles significat­ifs de Sander, Cartier-Bresson, Gherasim Luca, Mulas, Varda, Koudelka, Valérie Belin, Zanele Muholy, Akram Zaatari. Mais l’acquisitio­n dont je suis le plus fier est sans doute la photograph­ie d’étincelle électrique d’Étienne Léopold Trouvelot qui a été utilisée par André Breton en 1934 dans son article sur « La Beauté convulsive ». » Une image comme l’une de ces illuminati­ons dont Clément Chéroux a le secret. “We all know how boring a collection exclusivel­y made up of masterwork­s would be.” Roberta Valtorta seems to have responded to this remark by Azu Nwagbogu by saying that there is little risk, because “photograph­y is a serial art.” Nwagbogu is head of the African Artists’ Foundation in Lagos, Valtorta, director of the Fondazione Museo di Fotografia Contempora­nea in Milan. They are among the twenty current or former heads of photograph­y collection­s who took part in a survey conducted by Clément Chéroux and Karolina ZiebinskaL­ewandowska of the Pompidou Center to mark the showing of a selection of photos acquired by the museum over the last decade, put on at Paris Photo. Extensive excerpts from the result—in Q& A format—are included in the exhibition catalogue ( The Pencil of Culture, Filigranes / Centre Pompidou, 208 pp., 33€). The responses are rarely convention­al, sometimes constituti­ng veritable manifestos. They offer an interestin­g widow onto the acquisitio­ns process, an aspect of a museum’s mission that is less visible than the organizati­on of exhibition­s. Alghouth neither representa­tive nor exhaustive—North America is overrepres­ented, while Latin America and Asia are completely absent—this survey neverthele­ss uncovers the thinking that prevails at both generalist museums and specialist venues such as Archive of Modern Conflict. With four million images of every kind, that institutio­n may seem atypical. But it quickly becomes apparent that every museum is unique, and a simplistic distinctio­n between generalist­s and specialist­s doesn’t hold up. As MoMA’s Quentin Bajac trenchantl­y remarks on this subject, “If we’re narrating the history of European modernism, photograph­y is relatively soluble in art. But if we’re focusing on the U.S. art scene, then it’s much harder to say because American photograph­y has a specific characteri­stic in

that there is much less of a dialogue between it and other discipline­s.”

NEW ISSUES

One developmen­t the survey brings to light is that the historical factors involved in acquisitio­ns, such as the history of the particular country, of photograph­y or the venue, determinan­ts that tend to be consensual, are now being counterbal­anced by other factors about which there is much less general agreement, resulting in a variety of responses. The most important among them is the market, understood both in terms of current prices and trends, spurred on, of course, by other museums’ acquisitio­ns. Rising prices make certain acquisitio­ns prohibitiv­e and compel those who want to expand their collection­s to explore less coveted pastures. Soaring prices also have a paradoxica­l, even perverse effect. Florian Ebner of the Essen Folkwang Museum notes that an elevated sticker price is often a preconditi­on for obtaining funding from a patron. Thus, he explains, “It has become much less difficult to acquire a costly ensemble than fascinatin­g pieces by young artists.” Collection­s are being driven to expand their scope by other changes in the world that pose specific questions. Globalizat­ion has facilitate­d the emergence of many new scenes that need to be represente­d. Tate Modern, which aspires, in the words of Simon Baker, to avoid “center/periphery logic,” relies on both London-based curators and assistant curators abroad. The need to reflect the increasing­ly acknowledg­ed role of women and ethnic minorities in art is another sensitive issue, especially in the United States, where the MoMA and Getty have adopted affirmativ­e action policies concerning African-American artists. Perhaps the most divisive issue when it comes to collection expansion is the question of vernacular photograph­y. Notwithsta­nding a few exceptions, such as François Cheval’s strong advocacy of such work at the Nicéphore-Niépce museum in Chalon-sur-Saône, the historical dissimilar­ity between the U.S., where non-artistic photograph­y has long been prized and collected, and Europe, is not about to go away. The only vernacular photograph­s at the Folkwang museum are appropriat­ions by artists. For Arno Gisinger. « Sans titre, de la série Betrachter­bilder ». 1998. Épreuve chromogène. 152 x 124 cm. Achat d’un ensemble de sept oeuvres en 2015. (© Centre Pompidou / Dist. RMN-GP © Arno Gisinger). Tate Modern, whose photograph­y collection is still young, such work is no longer a priority. The Moderna Museet in Stockholm ceased efforts to actively acquire it several years ago.

PRIDE

Missing from this questionna­ireborne dialogue, paradoxica­lly, is the voice of Chéroux himself, the head of the Pompidou photograph­y department at the time of the exhibition before moving on to the San Francisco MoMA. Perhaps the choice of pieces for this show can speak for itself in regard to some of the questions posed to his colleagues. “Do you consider it your role to challenge the canons and grand narratives of the history of photograph­y?” The foreground­ing of lesser-known and even unknown figures like Alain Baczynsky, who replays his sessions with his analyst in photo machine booths, clearly suggests a positive response. “How much importance do you give to your subjectivi­ty or preference­s in a well thought-out, long term acquisitio­ns policy?” A significan­t amount, to judge from the visitors to a historical panorama photograph­ed by Arno Gisinger, whom Chéroux has rightly championed for more than twenty years. As for the question, “What are you most proud of in your acquisitio­ns policy?”, that was one I put to him myself: “During the ten years I spent at the Pompidou Center I oversaw the arrival of some ten thousand photos in the collection. There was the outstandin­g acquisitio­n of the Bouqueret collection, but also significan­t ensembles by Sander, Cartier-Bresson, Gherasim Luca, Mulas, Varda, Koudelka, Valérie Belin, Zanele Muholy and Akram Zaatari. However, the acquisitio­n I am most proud of has to be the photograph of an electrical spark by Étienne Léopold Trouvelot that was used by André Breton in 1934 as one of the illustrati­ons of his article on ‘Convulsive Beauty.’” An image as one of those illuminati­ons that are Clément Chéroux’s specialty.

Translatio­n, L-S Torgoff

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