Pierre Gonnord
Frac Auvergne / 14 janvier - 26 mars 2017
Pierre Gonnord est un de ces grands portraitistes classiques pour lesquels le portrait est sans doute plus affaire de présence que de représentation. Pourtant, ce sont des paysages qui accueillent le visiteur de la deuxième exposition que le Frac Auvergne consacre au photographe installé à Madrid depuis 1988. Les premiers, servis par un chromatisme riche et nuancé, ont l’abstraction de la fumée ou de l’écume. Les seconds sont des vues larges de bords de fleuve peuplés de rares figures dans des poses figées. Apparu seulement en 2009, le paysage semble donner une des clés des portraits de Gonnord qui pourraient, sinon, passer pour une simple relecture des maîtres anciens, en l’occurrence les Espagnols de Vélasquez à Goya, dont la photographie contemporaine a été friande. En effet, si Gonnord photographie des individualités qu’il isole sur des fonds neutres, celles-ci appartiennent à des groupes ou des communautés définis qu’il apprend à connaître et s’inscrivent dans des environnements spécifiques qu’il arpente. Dans ses propos, Gonnord souligne même le mimétisme entre tel visage et tel territoire, au point de confondre volontiers les genres du portrait et du paysage. Les silhouettes en bord de fleuve sont celles de gitans nomades qui vivent du travail agricole saisonnier de part et d’autre du Guadiana. Gonnord les a rencontrés et photographiés depuis les ponts autoroutiers qui traversent leur territoire. Il a aussi fait le portrait de certains d’entre eux. Ils figurent dans l’exposition, avec d’autres gitans, entre deux grands ensembles de portraits. Une fois n’est pas coutume, le premier fut réalisé très brièvement. Il réunit douze joueurs de l’ASM, le club de rugby clermontois. Les soupçons d’opportunisme de ce projet porté par des gloires locales sont levés par la solidité du corpus qui prolonge une réflexion de Gonnord sur la force physique. L’artiste a cueilli l es joueurs après un effort intense. Il a paradoxalement rendu les corps peu présents pour se concentrer sur la psychologie exprimée par ces visages pris en plan très rapproché. Cette série n’est pourtant pas aussi forte que celle consacrée aux derniers mineurs de charbon espagnols portraiturés à la sortie du puits. Les visages sont fatigués, grimés par la poussière ou mal nettoyés. Les regards fixent systématiquement l’objectif, mais les variations de pose – buste de face ou de profil – et de cadrage – plus ou moins serré – indiquent la spontanéité qui est au fondement des portraits faussement hiératiques de Gonnord. Cette spontanéité est aussi recherchée dans l’usage nouveau de la vidéo et la liberté laissée aux mineurs face à la caméra. Le film, qui reste une recherche, est diffusé en accéléré pour rendre sensible la mécanique des corps (respiration, gestes plus ou moins volontaires) au service de la mécanique minière. Ces visages et ces corps, apparemment extraits de leur contexte, disent ainsi la condition de ces mineurs de fond et rapprochent les portraits de Pierre Gonnord d’une pratique documentaire.
Étienne Hatt
Pierre Gonnord is one of those great classical portraitists who work is more about achieving a sense of presence than representation. Yet this exhibition, the second of his work to be held at the Auvergne regional arts center (FRAC), starts out with his landscapes. The color range of his portraits is rich and nuanced, with the abstraction of smoke or sea spume. The landscapes are broad views of riverbanks. There are few people, and they seem to have been frozen in mid-pose. Gonnord did not start making landscapes until 2009. They seem to provide a key to reading his portraiture, which otherwise might pass for a simple revisiting of work by old masters of the genre, especially Spanish painters from Velázquez to Goya, favorite references for contemporary photographers. It dawns on the visitor that while Gonnord has photographed individuals alone against neutral backgrounds, they actually belong to groups and communities he has learned to recognize, and are inscribed into specific milieus he explores. In his exhibition text Gonnord emphasizes the correspondence between faces and places to the point of deliberately conflating the landscape and portrait genres. The silhouettes on the riverbanks are those of nomadic Gypsies who travel up and down the Guadiana doing seasonal agricultural work. Gonnord met them and took their pictures from the highway overpasses that crisscross their territory. In some cases he also chose to make mid- length portraits against dark backgrounds. These works, along with other photos of gypsies, are situated between two larges ensembles of portraits. The first of these groups, shots taken, unusually for Gonnord, during a very brief time frame, show a dozen players from the ASM, the local rugby club. Any suspicions that he might have done this for opportunistic reasons dissipate in light of this quality of this work and its place in his reflections on how to represent physical strength. Here he has caught his subjects moments after intense exertion. Paradoxically, these photos render them less present, focusing on the affective state expressed by their faces, shown in tight close-ups. Yet this series is not as strong as his portraits of the last Spanish coal miners just after coming to the surface. Their faces are tired and covered or smeared with coal dust. They stare straight at the camera, but variations, such as whether the photo was taken in profile or head-on, and the framing and cropping decisions (tighter or looser), all seem to indicate the spontaneity underlying these pieces that, despite appearances, are not hierarchical. This spontaneity has also been sought in the use of video and the freedom they have been given as to how to face the camera. This experimental film is shown speeded up in order to bring out the mechanics of bodily movements (breathing and other gestures that are voluntary to varying degrees) in the service of the mechanics of mining. Despite the apparent extraction from their context achieved by shooting these faces and bodies against neutral backgrounds, they seem to convey the particular human condition of these deep-pit workers. In this, Gonnord’s portraiture is almost a documentary practice.
Translation, L-S Torgoff