Saâdane Afif
Centre Pompidou / 30 janvier - 30 avril 2017
Le Centre Pompidou fête ses 40 ans, et la Fontaine de Marcel Duchamp son centenaire : c’était une jolie occasion de présenter The Fountain Archives, le projet au long cours de Saâdane Afif, sur les cimaises du Musée national d’art moderne. Nous l’avions évoqué dans les pages d’artpress il y a un peu plus d’un an à propos d’une exposition à la galerie Michèle Didier (n°428, décembre 2015) ; il est aujourd’hui enrichi de facettes inédites. Imaginons quelques chansons bruisser en haut des marches qui mènent aux collections historiques du Centre Pompidou. Ce serait la mise en musique à venir des textes que Saâdane Afif a commandés à divers auteurs et amis au sujet de son exposition. Il a cette habitude depuis une quinzaine d’années. Ces paroles sont sérigraphiées sur les cimaises de The Fountain Archives. Saâdane Afif avait déjà une certaine familiarité avec le Centre Pompidou. Pour l’exposition du prix Marcel Duchamp – justement – dont il a été lauréat en 2009, et qui s’intitulait Anthologie de l’humour noir, il avait commandé à un artisan ghanéen une monumentale sculpture du bâtiment de Renzo Piano et Richard Rodgers en forme de cercueil : une sorte de « sarcophage des utopies ». L’ensemble était entouré de répliques des bornes sur lesquelles on s’assoit en bas, sur la piazza, pour parler, chanter, hurler ou se détendre. Huit ans plus tard, dans les galeries du cinquième étage, The Fountain Archives semble fraternellement accueilli par l’édition de Fontaine qui fait partie des collections. L’oeuvre, qui est une réplique de l’oeuvre originale est, dans un geste curieusement poétique, associée à l’inventaire le plus complet de son exégèse. Comme le souligne Michel Gauthier, les éditions réalisées par le galeriste milanais en 1964 n’ont rien à De gauche à droite / from left to right: The Fountain Archives. 2008-2017. Vue d’exposition / installation view (© Philippe Migeat) The Fountain Archives FA. 0420. 2014 Page déchirée de/ torn out page from: Millet, Catherine & Pleynet, Marcelin, « Le fétiche Duchamp » in artpress, décembre/janvier 1973, p. 6. The Fountain Archives FA. 0766 AP. 2016 Page déchirée de/ torn out page from: Millet, Catherine (ed.). « Expositions » in artpress (no. 428), déc. 2015, p. 30. (Court. Galerie M. Chouakri, Berlin, mfc-m. didier, Paris, X. Hufkens, Bruxelles) voir avec des ready-made ; elles sont réalisées par moulage, comme des sculptures traditionnelles. Or, dans l’exposition, sous des vitrines en plexiglas semblables à celle qui abrite la Fontaine de Duchamp, Saâdane Afif montre pour la première fois des bibliothèques qu’il a transformées en sculptures : on y voit, rangés par ordre d’arrivée dans l’atelier de Saâdane Afif, les livres et magazines qu’il a achetés ou que les uns et les autres lui ont envoyés, où figure une reproduction de la Fontaine de Duchamp. Une partie de ces pages arrachées puis encadrées est accrochée sur les murs de l’exposition. Ces rayonnages ne sont pas des archives à consulter mais une bibliothèque fantôme, à l’image de Fontaine, oeuvre emblématique de l’art du 20e siècle, que l’on ne connaît que par une photographie prise par Alfred Stieglitz à New York en 1917. Plutôt que des accents mélancoliques, il y a dans ce projet une atmosphère de grand amusement, avec toute la rigueur et la complexité que cette attitude implique. Sans accents mystiques non plus, c’est l’image de la disparition, non pas comme un deuil, mais comme la promesse d’un futur.
Anaël Pigeat PS: artpress figure à plusieurs reprises dans The Fountain Archives, notamment sous le numéro 1 des ouvrages conservés dans les bibliothèques, et parmi les commentaires de l’oeuvre The Fountain Ar
chives. L’histoire continue ! The Pompidou Center is celebrating its fortieth birthday, and Marcel Duchamp’s Fountain has hit its hundredth. That’s a good reason for the museum to present The Fountain Archives, a long-term project by Saâdane Afif. Artpress covered it previously, a little more than a year ago, in a review of a show at the Michèle Didier gallery (no. 428, December 2015), but it has been enriched and expanded since then. Imagine songs coming from the top of the escalator leading to the Pompidou Center’s permanent collection. They would be the setting to music (still in the planning stage) of texts that Saâdane Afif commissioned several authors and friends to write about this exhibition. He’s been doing this kind of thing for some fifteen years now. The words are stenciled on the exhibition partition walls. Afif was already pretty familiar with the Pompidou Center. For his exhibition Anthologie de l’humour noir (Anthology of Black Humor, for which he had been awarded the 2009 Marcel Duchamp prize), he commissioned a craftsman from Ghana to make a giant sculptural reproduction of the building designed by Renzo Piano and Richard Rodgers in the shape of a coffin, a sort of “sarcophagus of the utopias.” The ensemble was surrounded by replicas of boundary markers on which people could sit around the forecourt, to talk, sing, scream or just chill. Eight years later, upstairs, The Fountain Archives seems to be fraternally hailed by the Fountain held in the museum’s permanent collection. Actually, it’s a copy of Duchamp’s original found urinal, and it is truly poetic justice that it should be associated with Afif’s complete inventory of the work’s exegesis. As Michel Gauthier has pointed out, the “editions” of the Duchamp piece made by a Milan gallerist in 1964 have nothing in common with readymades; they are casts, just like traditional copies of sculptures. In this exhibition, shown in Plexiglas vitrines similar to the one housing Duchamp’s Fountain, we are treated to the inaugural showing of the bookcases Afif transformed into sculptures. The items they contain are arranged in the order in which they arrived in Afif’s studio, the books and magazines he purchased or received from others in which there is an illustration showing Duchamp’s Fountain. He tore out and framed these pages, some of which are displayed on the exhibition walls. What the shelves hold is not a consultable archive but rather a phantom library, which, like the original Fountain, an icon of twentieth century art, is known to us only through a photo, taken by Alfred Stieglitz in New York in 1917. Rather than tinged by melancholy, this project is an amusement, with all the rigor and complexity such an attitude implies. Devoid of any mystical touch as well, it is an image of disappearance meant to invoke not mourning but the promise of a future.
Translation, L-S Torgoff