Goliarda Sapienza
Rendez-vous à Positano
Le Tripode, 280 p., 19 euros
Il est toujours exaltant de découvrir l’univers – et le style ! – d’un écrivain totalement singulier. Les éditions Le Tripode ont entrepris la publication des oeuvres complètes de Goliarda Sapienza, morte dans l’anonymat en 1996, tant les éditeurs italiens étaient déconcertés par la complexité de son oeuvre. Une oeuvre profondément audacieuse, qui campe à la perfection la psychologie des personnages, sans oublier celle de la narratrice, tout en leur conservant une large part d’ombre. On ne peut pas ne pas penser à Ingeborg Bachmann, elle aussi écrivain unique, elle aussi douée – surdouée – dans l’art de la psychologie, de l’humain. « Toutes les choses les plus belles contiennent une douleur secrète », lit-on dans Rendez-vous à Positano, modeste village situé près de Naples où la narratrice va éprouver des sentiments intenses – une fascination plus qu’un amour – à l’égard de la flamboyante Erica, « une femme d’une grande classe ». Le lecteur – et c’est pourquoi le livre se savoure – partage le moindre détail de la vie des deux femmes. Tout le talent de Goliarda Sapienza est de mêler les paysages « cinématographiques » de Positano aux pensées de chaque personnage. Positano n’est pas qu’un lieu de joie, c’est également un lieu tragique, où les enfants meurent, où l’on se suicide, où l’on hésite à revenir. Oui, c’est bien le lieu de la douleur cachée sous la beauté, un village qui, pense la narratrice, l’amènera à la perdition, un lieu trop familier des mystères. Elle doit fuir. Un télégramme l’attend justement, de son ami Visconti, qui s’étonne qu’elle perde son temps à son âge dans ce coin perdu. « Tu dois être ici, en ville, et agir », lui conseille-t-il. Mais comment quitter les nuits de Positano, quand même la mer se tait, quand la paix appelle la peur ?