Sandra Lucbert
La Toile
Gallimard, 480 p., 23,50 euros
Une fois pris dans la toile, impossible d’en sortir. Tout du moins, c’est ce que tentent de faire croire les deux magnats d’internet aux commandes de LineUp, les quadras Agathe Denner et Guillaume Thévenin, dont la perversité n’a d’égale que l’ambition. Ce roman épistolaire de Sandra Lucbert, auteure de Mobiles en 2013, transpose dans l’univers numérique les intrigues et manipulations des Liaisons dangereuses. Les alter egos contemporains de Valmont et Merteuil piratent, harcèlent, exposent, contraignent et exploitent leurs employés en poussant jusque dans leurs derniers retranchements les limites légales de la protection de la vie privée. Le livre retranscrit, comme à l’écran, les conversations sur des réseaux sociaux (Medium, Messenger) qui ressemblent aux multiples interfaces de communication actuelles et permettent des dialogues croisés infinis. L’exercice de transposition d’une intrigue sous forme de conversations numériques présentait le risque d’une facticité des échanges ou de n’être qu’un prétexte formel. Mais le rythme des dialogues, la tension entre les personnages et cette voracité carnassière du libéralisme à faire de l’intime un objet de chantage constant emportent le lecteur dans les aventures d’un jeune couple, bientôt tenté par l’aventure hacktiviste, et d’une brillante juriste séduite par les enjeux juridiques des transgressions numériques. Tout ce petit monde se prête à un jeu qu’il croit pouvoir maîtriser, à coup de messages, posts, e-mails et soirées mondaines. Mais très vite, sous la pression sans limite des très créatifs Agathe Denner (@Aaarg) et Guillaume Thévenin (@GoogleAtor), les programmes savamment échafaudés se mettent à bugger de toute part et nous invitent à méditer sur l’avenir du mot « déconnexion ».