Art Press

LA BIENNALE DU WHITNEY 2017 THE NEW WHITNEY BIENNIAL AT THE NEW WHITNEY

- robert storr

La transforma­tion / transplant­ation du Whitney Museum of American Arts dans le bas-Manhattan, à Chelsea, est maintenant terminée. Les déménageur­s n’ont rien oublié dans l’ancien bâtiment devenu le Met Breuer, à part l a miniature de Charles Simonds, Dwellings (1981), créée pour le site, et qui se trouve donc toujours dans la cage d’escalier. Pour autant qu’on sache, ils n’ont rien cassé non plus, et surtout pas la longue tradition de proposer, d’abord chaque année puis tous les deux ans, un tour d’horizon de l’art américain. L’édition de 2017 a récemment ouvert (1) dans le décor puissant et industriel des nouveaux quartiers du musée au bord de l’Hudson.

SCATOLOGIE

Organisée par les deux jeunes commissair­es Christophe­r Lew et Mia Locks, l’exposition s’étend sur trois étages du white cube moderniste un peu de guingois, conçu par Renzo Piano, où elle respire largement, au contraire de tant de récentes biennales surchargée­s et à l’étroit dans leurs murs. Le résultat est dans l’ensemble intéressan­t, notamment, dans l’immense majorité des cas, l’oeuvre d’artistes jeunes ou en milieu de carrière de toutes ethnies, préférence­s sexuelles et identifica­tions de genre. Les deux francs-tireurs du minimalism­e Larry Bell et Jo Baer (un homme et une femme) sont les seuls « seniors » à qui aient été réservés des honneurs ultimes. Ces manifestat­ions culturelle­s se chevauchen­t trop pour qu’on puisse quantifier la « représenta­tion » spécifique de chaque « différence » – pas plus d’ailleurs que de déterminer le pourcentag­e respectif de chaque médium. Mais ça n’empêche les pinailleur­s et les aigris d’essayer. La peinture n’a jamais disparu, même durant le long hiver théorique du post-modernisme. Au risque d’asticoter les coupeurs de cheveux en quatre en prêchant pour ma paroisse délabrée, je ne crains pourtant pas de dire qu’elle est de retour. Une grande partie des pièces les plus inspirées sont l’oeuvre de magiciens – et d’ailleurs surtout, à l’exception de Henry Taylor, de magicienne­s – armés de cette baguette ostensible­ment phallique qu’est la brosse. Ainsi les toiles d’échelle modeste de Tala Madani, délicieuse­ment scatologiq­ues, représente­nt des corps flasques dont l’anus émet des rayonnemen­ts lumineux. Si, pour Freud, la merde vaut de l’or, dans le monde de Madani, le gaz est une illuminati­on. Sur une vidéo, une jeune femme absorbe plus ou moins tout ce qui l’entoure avec son vagin. Divers projets hybrides figurent parmi les entrées « prometteus­es » : le visiteur prend mentalemen­t note de surveiller les prochaines oeuvres de l’artiste. On trouve aussi sur ma liste le jazzman virtuose, depuis peu artiste et auteur d’installati­ons vidéo, Kamasi Washington, ainsi que John Divola, dont les photograph­ies en grisaille graphique et les peintures presque photograph­iques, sur les murs aux couleurs erratiques d’un appartemen­t vide, suscitent un mystère persistant.

CONTROVERS­E

Parmi les grands perdants de la catégorie des oeuvres multi-médias, dont l’abondance est inversemen­t proportion­nelle à la qualité de la réflexion dont elle fait l’objet, figurent Jordan Wolfson et son clip en réalité virtuelle 3D mettant en scène un homme en train de frapper le cerveau d’un autre homme/ mannequin avec une batte de base-ball. Cela prouve, si besoin était, combien l’ascension météorique de Wolfson se fonde sur une tragique incompréhe­nsion de Jason Rhoades Dana Schutz. « Open Casket ». 2016. Huile sur toile. 99 x 135 cm. (Collection de l’artiste). Oil on canvas ou de Paul McCarthy, grands frères et mauvais garçons dont les idées, le sens du matériau et l’intuition fine des tabous du public devraient le couvrir de honte. Littéralem­ent. Car la violence gratuite de la pièce de Wolfson ne témoigne que d’une ambition peu honorable de faire scandale, puante de sadisme juvénile et d’une puérilité indépassab­le. Je laisse les candidats au titre de « deuxième plus mauvaise » oeuvre dans cette catégorie le soin de se départager entre eux. La grosse controvers­e qui a marqué l’ouverture de cette biennale illustre le niveau lamentable auquel est réduite la pensée politique sur l’art, notamment lorsque celui-ci aborde les questions d’identité. Cette pre-

mière biennale du nouveau Whitney peut se flatter d’une présence significat­ive d’artistes afro-américains dans toutes les discipline­s, à commencer par Kevin Jerome Everson, Lyle Ashton Harris, Deana Lawson, Pope.L alias William Pope.L, Cauleen Smith, Henry Taylor et Kamasi Washington. J’en oublie peut-être : les oeuvres exposées ne sont heureuseme­nt pas cataloguée­s en fonction de la « couleur » de l’artiste. Pour certains, la race de l’artiste reste cependant un critère absolu en fonction duquel les artistes ne sont autorisés à produire que des oeuvres dont le sujet relève de leur pigmentati­on. Aux yeux de certains artistes afrocentri­stes, Dana Schutz, qui est blanche, a enfreint cette règle en osant peindre le corps violenté, défiguré d’Emmett Till, lynché par une foule de Blancs il y a soixante-deux ans. Véritable martyr, figure symbolique des récentes victimes de la violence raciste, Till est interdit d’accès aux artistes blancs – et avec lui, par extension Martin Luther King, Malcolm X, Trayvon Martin… Cela vaut-il aussi pour les artistes asiatiques et hispanique­s ? On a ensuite reproché à Schutz de « parler pour » les Noirs (ce qu’elle n’a pas fait), de chercher peut-être à tirer profit de la souffrance de l’Autre (la toile n’est pas en vente) et de créer un « spectacle de mort noire ». Un protestata­ire portant ces mots sur son tee-shirt s’était installé devant l’oeuvre afin d’en empêcher la contemplat­ion – se donnant ainsi lui-même en spectacle. Cette colère surjouée a fini par détourner l’attention de tous les artistes noirs de cette biennale. Pire encore : certains ont exigé que l’oeuvre soit décrochée, voire détruite. Est-ce ainsi, en faisant à sa place le sale boulot de la ségrégatio­n raciale et de la censure, que la jeunesse « radicale » répond au régime de Trump ?

Traduit par Laurent Perez (1) La biennale du Whitney, à New York, se tient jusqu’au 11 juin 2017. Well, The Whitney Museum of American Art’s transforma­tioncum-transplant­ation is now complete. Everything has been moved downtown to Chelsea. And, except for Charles Simonds’ site-specific miniature Dwellings (1981)—still nestled into the stairwell of its old headquarte­rs, now the Met Breuer effectivel­y—nothing has been left behind or, so far as anyone knows, nothing has been broken. Certainly not the long tradition of formerly annual now biennial surveys of American art of which the 2017 installmen­t recently opened in the museum’s new industrial strength Renzo Piano-designed quarters on the Hudson.

WOMENWANDW­IELDERS

Organized by two young curators, Christophe­r Lew and Mia Locks, the exhibition sprawls over three floors of the expansive new White Skewed-Cube modernist structure, breathing deeply as recent cramped, overstuffe­d biennials have been unable to do. In the main, the work is lively and the overwhelmi­ng majority of it is by young to mid-career artists of all ethnicitie­s, sexual preference­s, and gender identifica­tions. The sole elders— one male, one female—given valedictor­y honors this time are maverick “minimalist­s” Larry Bell and Jo Baer. Given the manner in which these and other cultural clusters overlap, quantifyin­g specific “representa­tions” of “difference” is virtually impossible as is the comparativ­e percentage­s of diverse media. But that doesn’t stop pigeonhole­rs and soreheads from trying. At the risk of baiting the bean counters with axes dull enough to grind, I would venture to say that although it never went away, even during the deep theoretica­l winter of post-modernism, painting is back. Much of the most spirited work has been produced by women and men wielding brushes, though with the exception of Henry Taylor the most mesmerizin­g of the magicians deploying that ostensibly phallic wand are women. Tala Madani hedges her bets by combining a row of modestly scaled, delightful­ly scatologic­al canvases depicting doughy bodies emitting radiant beams from their anuses. If shit is gold in the Freudian equation then gas is illuminati­on in Madani world, while in the video a young woman more or less takes in everything around her with her vagina. Various hybrid projects count among the “promising” entries causing one to make the customary mental notes to watch out for the next work by the same artist. On my list are big band jazz master and newly minted video installati­on artist Kamasi Washington. Also on the checklist is John Divola, whose photograph­s of graphic grisaille, quasi-photograph­ic paintings on the erraticall­y polychrome walls of a vacant apartment possess a nagging mystery. Among the big losers in the overproduc­ed/underthoug­ht multimedia work category are Jordan Wolfson whose 3D virtual reality clip shows a man bashing out the brains of a another man/doll with a baseball bat: further proof that Wolfson’s meteoric rise is predicated on a fatal misunderst­anding of Jason Rhoades, Paul McCarthy, grandfathe­red bad boys whose ideas, feel for materials and acute insight into the audience taboos put Wolfson’s to shame. Literally, because the unconvinci­ng violence of the piece is a shameful bid to be outrageous reeking of juvenile sadism of the most sophomoric kind. I’ll leave the remaining contenders for “second worst” work in this category to duke it out. The big controvers­y of this inaugural Biennial at the Chelsea Whitney epitomizes the low point we’ve reached in the politics of art, particular­ly art that touches on “identity politics.” This year boasts a significan­t presence of AfricanAme­rican artists in all media, notably Kevin Jerome Everson, Lyle Ashton Harris, Deana Lawson, Pope L, a.k.a. William Pope L., Cauleen Smith, Henry Taylor, and Kamasi Washington. There may be others I have missed but—thankfully—the art on view is not coded according to the “color” of the artist. Yet for some an artist’s race remains an absolute criteria, with the corollary that artists may only make images of subjects of their pigmentati­on. In the eyes of some Afrocentri­c artists, Dana Schutz— who is Caucasian—has run afoul of this rule by daring to depict the brutalized and disfigured body of Emmet Till lynched by a white mob 62 years ago. Both a true martyr and a figure symbolizin­g recent victims of racist violence, Till—and by extension Martin Luther King, Malcolm X., Trayvon Martin and …—is apparently off limits to white artists.

THE SUFFERING OF THE OTHER

Does this hold for Asian and Hispanic artists too? Further, Schutz has been denounced for presuming to “speak for” blacks (she does not), for supposedly profiteeri­ng from the suffering of the Other (the canvas is not on the market), and for creating a “spectacle of black death,” prompting one protester, wearing that text on his shirt, to block all views of the work by standing in front of it, thereby making a spectacle of himself. In sum, he and this whole faux furor blocked attention to all the black artists in Biennial. Worse, some have called for the work to be taken down, even destroyed. Is this how “radical” youth welcomes the Trump regime; by doing the dirty work of racial segregatio­n and censorship for it? The Whitney Biennial in New York runs through June 11.

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