Art Press

Olivier Zahm retour critique

- Anaël Pigeat

Olivier Zahm Une avant-garde sans avant-garde. (Essai sur l’art contempora­in réalisé avec Donatien Grau) Les Presses du réel / JRP Ringier, 397 p., 20 euros

Co-fondateur et directeur du magazine Purple, Olivier Zahm publie ses textes sur l’art des années 1990.

Olivier Zahm a commencé à écrire sur l’art au début des années 1990 pour découvrir le monde et pour réfléchir. Il définit aujourd’hui cette pratique comme « une écriture hybride sans territoire propre, prise entre le journalism­e et la théorie de l’art, entre le texte littéraire et philosophi­que, l’engagement radical et la compromiss­ion du marché de l’art ». Puis, au fil des années, il a progressiv­ement pris le tournant de la photograph­ie dans le monde de la mode pour ne pas dépendre de celui de l’art, sans jamais cesser de s’intéresser à ce qui a toujours été pour lui « une zone de transforma­tion, un endroit où ses idées peuvent être testées ». En 1992, avec Elein Fleiss, sa compagne d’alors, qui s’est par la suite retirée de la scène artistique, il a créé Purple Prose. Ils avaient la volonté de faire de ce magazine « une communauté délestée de l’idée de mouvement ». Comme il le raconte aujourd’hui, attablé dans un café où il a ses quartiers, ils voulaient reprendre le projet de la modernité dont on leur disait qu’il avait explosé, en réagencer les fragments restants, les « micro-récits », les « micro-utopies ». Ils voulaient inventer une définition non moderne et non post-moderne de la modernité, qui leur permette à leur tour de rendre visible leur temps présent. Ce recueil de textes, dont la réalisatio­n a été initiée par Donatien Grau, évoque moins un monde sans avant-garde qu’une avant-garde qui refuse de se présenter comme telle. Il montre des racines du monde actuel dans lequel les mouvements artistique­s des années 1960 et 1970, comme l’arte povera ou le nouveau réalisme, se sont fondus dans un paysage d’une nature différente, parfois énigmatiqu­e : « L’avant-garde d’aujourd’hui est cette avant-garde sans avant-garde : invisible, discrète, cachée dans les processus même qu’elle active », écrit Olivier Zahm. Ce livre n’est pas un paysage exhaustif des années 1990. Une dizaine d’articles le structure, introduits par de brefs textes inédits qui traduisent les obsessions d’Olivier Zahm: la critique d’art, le spectacle, l’exposition, la communauté, le contempora­in… On retrouve l’un des premiers textes sur les pitreries profondes de la star et anti- star Maurizio Cattelan, des textes sur Yayoi Kusama, Absalon, Gérard Fromanger, Ghada Amer, Jean-Luc Vilmouth, Claude Closky... Certains noms reviennent, comme les souvenirs d’une famille. Certaines absences surprennen­t. Philippe Parreno et Pierre Huyghe par exemple, sur qui Olivier Zahm a écrit dans l’un des premiers numéros de Purple, alors que deux textes sont consacrés à Dominique Gonzalez-Foerster. Absents aussi François Roche, Ashley Bickerton, Robert Mapplethor­pe, qui ont pourtant beaucoup compté pour lui.

ÉCRITURE DU QUOTIDIEN Ces textes proviennen­t de Purple Prose, mais aussi d’artpress, Flash Art, Omnibus, la Règle du jeu, Texte zur Kunst, et de nombreux catalogues d’exposition. Écrit-on différemme­nt quand on écrit pour sa propre revue et pour les autres, pour la presse et pour un livre ? Dans un propos sur la critique d’art, Zahm fait remarquer que le texte d’un catalogue d’exposition s’adresse en général surtout à l’artiste directemen­t – on pourrait ajouter avec un peu de perversité : et aux quelques critiques qui écriront après lui – plus qu’à un vaste public. Il remarque aussi que, sans les oeuvres, le critique d’art n’a rien à dire. Mais il se trouve que son écriture critique est aussi une écriture du quotidien. Ici et là se glissent des textes qui racontent la ville de Rio, la présence de la mer dans les histoires d’amour, la fuite de l’art vers le sport, l’écologie, la mode, l’histoire de la nuit et ses déboires aujourd’hui. Olivier Zahm parle d’art comme il parle de cinéma, fait le récit d’un dîner de vernissage pour parler de Dominique Gonzalez-Foerster. C’est une écriture qui retrace en pointillés l’aventure d’une exigence de vie : « Purple, c’est donc pour Elein et moi la fiction de la communauté ou plus exactement sa fiXion. C’est notre manière d’en explorer l’élément x, l’élément mystérieux, l’élément qui nous échappe et qui fait que le monde nous glisse entre les doigts en même temps qu’il se globalise, s’homogénéis­e, se fragilise, se disloque sous nos yeux, sur nos écrans. » En 1994, Olivier Zahm et Elein Fleiss inauguraie­nt ensemble l’Hiver de l’amour, au musée d’art moderne de la Ville de Paris, dont Suzanne Pagé leur avait ouvert les portes après avoir vu leur exposition June à la galerie Thaddaeus Ropac en 1993. Comme personne ne l’avait fait avant eux, cette mythique exposition évoquait tout haut l’utopie des années 1970 suivie par la catastroph­e du sida et le refroidiss­ement des années 1990. « Le plus excitant dans tout cela, c’étaient les exposition­s, raconte encore Olivier Zahm, ce théâtre émotionnel, ces narrations. » Il y en eut beaucoup d’autres, jusqu’à Rose poussière en 2006, dans la Force de l’art. Finalement, comme il le dit lui-même, et comme ses textes le montrent, ce sont peut-être moins les oeuvres qui intéressen­t Olivier Zahm, que leur addition dans une exposition, et les idées qu’elles véhiculent. Le magazine Purple Prose prit plusieurs formes, jusqu’au très épais Purple Fashion, qui paraît aujourd’hui. À la lumière de Toilet Paper, la revue de Maurizio Cattelan, Olivier Zahm s’interroge sur le rôle d’Instagram dans cette presse où l e présent disparaît sous l’effet de sa propre accélérati­on, d’où l’idée de collectif s’est effacée mais où on n’existe pas en dessous d’un million de followers – lui a-t-on dit récemment. Et il continue de travailler et d’affronter ses contradict­ions.

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Exposition « L’Hiver de l’amour ». 1994. (Archives du musée d’art moderne de la Ville de Paris. Ph. André Morin)

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