Raphaël Cuir
Renaissance de l’anatomie Hermann, 276 p., 26 euros
La naissance des traités d’anatomie au début du 16 siècle sollicite de curieuses mises en scène : les corps écorchés y sont représentés dans le mouvement de la vie, évacuant toute référence au cadavre disséqué qui leur a servi de modèle. L’enquête de Raphaël Cuir éclaire brillamment ce paradoxe en « démétaphorisant l’anatomie » (selon Georges Didi-Huberman dans sa préface), traquant la circulation des thèmes et des images afin de reconstituer les structures mentales de la Renaissance. Art et sciences naturelles restent étroitement liés dans la culture humaniste, subordonnés qu’ils sont à un double finalisme. Le vitalisme aristotélicien met le corps dans son intégrité au service de la vie qui l’anime ; l’héritage de Galien insiste, quant à lui, sur l’adéquation des organes à leur fonction. Léonard de Vinci, dont les dessins anatomiques sont encore pertinents, fait exception : son refus des représentations animées tranche en faveur du second, annonçant le « désenchantement du corps » par l’anatomie cartésienne. Ces représentations illustrent le paradis perdu qu’est l’univers mental d’avant la Contre-Réforme. La survivance de l’iconographie des danses macabres, du Jugement dernier, voire de l’épicurisme romain trahit, certes, la hantise persistante de la faiblesse humaine devant la mort et devant Dieu. Le progrès des savoirs aboutit cependant à une « revalorisation du corps », appelé à devenir le véhicule toujours plus conscient de la connaissance de soi. La dimension érotique, voire pornographique, de certaines images est emblématique d’une quête de dévoilement de la vérité marquée par une pulsion scopique – le plaisir sexuel ne répondant, sans guère d’embarras, que de la persévérance de l’espèce dans son être.