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Éditorial Une passion française (suite)

Bans away! Jacques Henric

- Jacques Henric Translatio­n, C. Penwarden

« À cinq heures du soir. / Il était juste cinq heures du soir. […] « Non! Je ne veux pas le voir ! / Dis à la lune qu’elle vienne, car je ne veux pas voir le sang d’Ignacio sur le sable. » On reconnaît là les vers de l’admirable poème de Federico García Lorca, Chant funèbre pour Ignacio Sánchez Mejías. Ignacio, ce torero, ami du poète, est mort de ses blessures reçues dans les arènes de Manzaneres, le 11 août 1934. Ce qu’on sait moins d’Ignacio Sánchez Mejías, et que nous apprend un livre paru en début d’année, l’Amertume du triomphe, c’est que ce passionné de toros était aussi dramaturge, comédien, pilote d’avion, président d’un club de foot de Séville et… romancier. Son roman, inachevé, l’Amertume du triomphe, dont les éditions Verdier ont publié une traduction en début d’année, est un précieux document pour connaître l’univers de la tauromachi­e vu de l’intérieur. Cette parution et la mort récente du torero espagnol Iván Fandiño dans les arènes d’Aire sur l’Adour nous obligent à revenir, une fois encore, une fois de plus, sur une des invincible­s passions françaises: interdire. Et par la même occasion, sur l’avachissem­ent d’une civilisati­on pour laquelle la vie d’un homme a moins de prix que celle d’un animal. Ainsi, les réseaux dits sociaux ne nous ont pas épargné le répugnant spectacle de la jubilation d’humanoïdes devant l’agonie et la mort d’Iván Fandiño. La sale ivresse de l’interdicti­on, on pouvait espérer que nous en serions libérés avec le nouveau pouvoir politique dont les conviction­s libérales en matière de culture, de morale, de moeurs furent maintes fois affirmées. Libérés enfin de cette « envie de pénal » raillé par Philippe Muray. Hélas! À peine installé, rien de plus pressé que d’annoncer une loi liberticid­e dont rêvaient les pouvoirs précédents. Visée: la corrida. On la doit à Monsieur Hulot (pas de vacances pour lui). Que je sois clair: je suis de ceux qui sont prêts à accepter la fin des corridas le jour où toutes les tueries d’animaux (violentes ou non, d’origine religieuse ou non) seront abolies, le jour où la France sera végétarien­ne, mieux végétalien­ne, où l’hindouisme sera sa religion officielle (pour les nationalis­tes hindous, qui mange de la viande est « démoniaque », au nom de quoi on assiste en Inde à des massacres répétés de la minorité musulmane). Un espoir, tout de même. Emmanuel Macron a cité Georges Bataille(1) dans son discours au Congrès de Versailles, empruntant à l’auteur de l’Érotisme sa notion centrale de « part maudite ». Une loi interdit la corrida ? Heureuse initiative ! Selon Bataille, il n’y a pas de loi sans transgress­ion, pas d’interdit qui n’appelle à être violé ! Donc, après la corrida (moment sacrificie­l cher à Bataille) : dépense, perte, poésie, jeux, rire, excès, sexe, orgie… La « part maudite » selon Emmanuel Macron? Un autre livre, Beauté du geste, mérite attention. Après la corrida, la boxe. Son auteur, Nicolas Zeisler, a été boxeur. Beauté du geste (Le Tripode) est un bel hommage rendu aux figures légendaire­s du ring et aux écrivains qu’elles fascinèren­t (2). Notre Premier ministre, Édouard Philippe, pratique le noble art. Je crains pour lui. L’État nous considéran­t comme des êtres immatures, de fragiles bébés à protéger contre eux-mêmes, pronostiqu­ons que les interdicti­ons toutes catégories vont continuer de pleuvoir et que les matchs de boxe, au cours desquels des hommes et femmes se font de gros bobos et risquent parfois la mort, seront, après les corridas, la cible des censeurs (certains politiques en ont déjà rêvé). Dans ce monde orwellien, d’interdit en interdit, tout sera bientôt interdit, notamment l’activité la plus périlleuse, la plus menacée, la plus dangereuse : la vie elle-même.

Jacques Henric

“At five in the evening./It was just five in the evening. […] No! I do not want to see it! / Tell the moon to come, for I do not want to see Ignacio’s blood on the table.” Readers may recognize Federico García Lorca’s admirable Funeral Chant for Ignacio Sánchez Mejías. Ignacio, a toreador and friend of the poet, died from wounds received in the ring at Manzaneres on August 11, 1934. What not many know, and as we learn from a book published this year by Verdier, L’Amertume du triomphe, is that this torero was also a playwright, actor, pilot, president of a soccer club in Seville and novelist. L’Amertume du triomphe, his unfinished novel, offers a precious insider’s view of bullfighti­ng. This, and the recent death of Spanish toreador Iván Fandiño at Aire sur l’Adour, bring me back, once again, to an ineradicab­le French passion: banning. And, by the same token, to the softening of a civilizati­on in which a man’s life has less value than an animal’s. Social media have been awash with the repugnant spectacle of humanoids exulting over the agony and death of Iván Fandiño. The dirty exaltation of banning is something we might have hoped to put behind us with the new government whose liberal cultural, moral and behavioral conviction­s have been frequently affirmed. Free at last of that “penal urge” mocked by Philippe Muray. Sadly not. It seems the new administra­tion has nothing more urgent to do than pass a freedom-killing law previous government­s could only dream of. Ban corridas. The law is the work of Monsieur Hulot (not on vacation). Let me be clear: I am prepared to accept the end of bullfights when all other animal-slaughteri­ng (violent or not, of religious origin or otherwise) is abolished. On that day, France will be vegetarian, better, vegan, and Hinduism will be the official religion (for Hindu nationalis­ts, a person who eats meat is demoniac, in the name of which India is the theater of frequent massacres of the Islamic minority). Still, there’s a glimmer of hope. Emmanuel Macron quoted Georges Bataille (1) in his speech at Versailles, taking from the author of Eroticism his notion of the “cursed share.” A law bans bullfighti­ng? Excellent! For Bataille, there is no law without transgress­ion: so, after the bullfight (a sacrificia­l moment beloved of Bataille) we should get expenditur­e, loss, poetry, play, laughter, excess, sex, orgies. The “accursed share” according to Emmanuel Macron? There’s a thought. Another book, Beauté du geste (Le Tripode), also deserves attention. Its author, Nicolas Zeisler, was a boxer. His book is a fine homage to the legendary figures of the ring and to the writers they fascinated.(2) Our prime minister, Édouard Philippe, practices that noble art. I worry for him. Since the state views us as immature, fragile babies that need to be saved from themselves, let us prophesy that bans of all kind will continue to rain down and that boxing matches, in which men and women hurt each other and sometimes even risk death, will be the censors’ next target. In this Orwellian world, as ban follows ban, everything will soon be prohibited, not least the most perilous, the most threatened and dangerous activity of all: life itself.

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