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Biennale de Lyon les mondes flottants

Interview d’Emma Lavigne par Anaël Pigeat

- Yuko Mohri. « Moré Moré (Leaky) The Falling Water Given ». 2017. (© D. Griffiths). [Mondes flottants]

20 septembre 2017 - 7 janvier 2018

Pour la nouvelle édition de la Biennale de Lyon intitulée

les Mondes flottants, Emma Lavigne, directrice du Centre Pompidou-Metz, s’appuie sur une vision particuliè­re du mot « moderne » suggéré par Thierry Raspail, le directeur de la Biennale. Elle exprime sa vision d’un monde liquide, à la fois mélancoliq­ue et vivant. Comment reliez-vous vos Mon

des flottants à l’idée de « moderne » ? J’ai souhaité explorer la façon dont le moderne a nourri mon travail de commissair­e, dans une approche qui privilégie les notions de flux, d’aléatoire, d’immatérial­ité. Je me réfère souvent à la modernité de la musique qui devient ambiante chez Erik Satie ou conduit à la fragmentat­ion chez Arnold Schönberg. Quand nous avons fait l’exposition Danser sa vie, avec Christine Macel, nous voulions étudier combien la danse avait été une étincelle essentiell­e dans la modernité des arts plastiques. Cette propension à l’ouverture est aussi très présente dans la littératur­e, depuis les mots en liberté qui apparaisse­nt sur la page ouverte de Stéphane Mallarmé. Cette sensibilit­é moderne est sousjacent­e à la pensée d’Umberto Eco qui, dans son ouvrage l’OEuvre ouverte (1965), envisageai­t l’oeuvre comme un « champ d’événements ouvert au hasard d’un devenir accidentel. » L’enjeu est de révéler l’oeuvre d’art comme « un infini contenu dans le fini », selon les mots de Luigi Pareyson. Il s’agit aussi, à travers le projet de Jill Magid, de questionne­r la fragilité de ce concept et de l’héritage du moderne, quand celui-ci est confisqué. Dans un rapport plus métaphoriq­ue à la modernité, l’artiste développe un projet sur les archives de Luis Barragán, grande figure du modernisme archi- tectural mexicain, qui sont inaccessib­les depuis vingt ans, leur propriétai­re en empêchant l’accès aux chercheurs et aux artistes… La finalisati­on de la forme correspond à une partie de l’histoire de l’art, mais pas à sa totalité. C’est cette deuxième trajectoir­e, plus duchampien­ne, qui m’intéresse le plus. À l’occasion de l’exposition de Dominique Gonzalez-Foerster au Centre Pompidou en 2015, j’ai souhaité rendre sensible combien son dialogue, ravivé par la musique, la littératur­e et le cinéma, génère un nouvel espace, tant physique que mental, dont la forme réinvente celle de l’opéra, conjuguant une multiplici­té de temps, de lieux et de récits. Avec Pierre Huyghe, les projets s’engendrent les uns les autres. Dans l’exposition Jardin infini à Metz, la Jardinière de Thierry De Cordier est à la fois une sculpture, un écritoire, un ermitage, et dans le film C.H.Z. ( Continuous­ly Habitable Zones) de Philippe Parreno, un jardin devient un scénario, puis un film, qui continue à vivre indépendam­ment selon sa propre temporalit­é. Dans la précédente édition de la Biennale, Ralph Rugoff se référait à Baudelaire dans son exaltation de « la vie moderne ». J’ai souhaité à nouveau interroger la portée de cette référence à travers cette autre définition, où il envisage le moderne comme « le transitoir­e, le fugitif, le contingent, la moitié de l’art dont l’autre moitié est l’éternel et l’immobile ». J’ai également réfléchi aux mots de Rainer Maria Rilke, qui questionna­it la place du poète et de l’artiste au sein du monde moderne. La Biennale explore la persistanc­e de la sensibilit­é moderne pour les flux, la dissolutio­n des formes.

LIQUIDITÉ

Pourquoi avoir choisi de vous appuyer sur l’ukiyo- e japonais ? Ces définition­s de la modernité, conjuguées à la pensée de John Cage, sont proches de la philosophi­e bouddhiste, qui privilégie la contemplat­ion à la consommati­on esthétique. La Biennale emprunte son titre au mot japonais ukiyo-e qui apparaît à un moment de crise morale au Japon, à l’époque de Heian ( 794-1185). Le monde où les êtres passent, s’évanouisse­nt et réapparais­sent sans fin est envisagé dans son impermanen­ce. Aujourd’hui, nous sommes dans une situation qui peut sembler semblable. Plutôt que d’avancer des certitudes, j’ai laissé advenir les pensées de certains artistes qui captent et transfigur­ent cet état du monde, cet entre-deux parfois instable.

Cette liquidité du monde est une des caractéris­tiques de notre époque. C’est en effet dans le contexte d’une mondialisa­tion galopante, générant une constante mobilité et l’accélérati­on des flux − cette « liquidité » du monde et des identités analysée par Zygmunt Bauman − que la Biennale explore l’héritage du concept de « moderne » dans la création actuelle. Le sociologue décrit la société contempora­ine comme en constante mobilité, générant la dissolutio­n des relations et des identités, le déracineme­nt des individus « hypermoder­nes ». Sa critique de la modernité, dont il revèle l’essence totalitair­e − où la sécurité occupe une place envahissan­te au détriment de la liberté − appelle à une réévaluati­on de la place de l’homme dans le monde. C’est comme si la pensée rhizomatiq­ue de Gilles Deleuze et Félix Guattari ou la structure archipéliq­ue du monde d’Édouard Glissant prenaient une forme réellement tangible aujourd’hui. Comment maintenir une forme d’intensité, s’interroge aujourd’hui Tristan Garcia dans la Vie intense, alors qu’on assiste à la démultipli­cation des flux ?

Le vivant sera-t-il présent dans les

Mondes flottants, voire dans la structure même de la Biennale ? Je voudrais avant tout que les spectateur­s se sentent vivants en visitant l’exposition. Certains artistes travaillen­t effectivem­ent avec des formes vivantes, même si cela n’a pas été un critère de choix pour le projet. Tomás Saraceno réactive sa Cosmic Dust, où la toile d’araignée devient une représenta­tion du cosmos et capte une parcelle des quarante mille tonnes de poussière cosmique qui tombent sur la Terre chaque année… Ce qui m’intéresse est surtout la question de la forme ouverte de l’oeuvre ou de l’exposition. Sans que cela ne devienne trop littéral, j’ai souvent envie d’ouvrir l’espace. Il y aura dans l’exposition des gestes qui en réactivent d’autres, en une sorte de critique de la modernité. Je voudrais que les éléments transforme­nt le bâtiment par leur flux et leur logique intrinsèqu­e, échappant à la muséificat­ion de la forme. Certaines oeuvres de Lygia Pape font exploser le white cube, comme dans New House, une maison détruite par le temps. Daniel Steegmann Mangrané développe un projet tropicalis­ant un espace sculptural par ailleurs strictemen­t moderniste. Ses oeuvres agissent sur nos sens et fissurent notre représenta­tion du monde ; elles y tracent un autre cheminemen­t, une bifurcatio­n susceptibl­e de nous rapprocher davantage du vivant. Pour lui, l’espace d’exposition ne peut plus être un espace d’accumulati­on d’artefacts isolés et protégés de l’extérieur, mais un lieu où notre rapport aux objets et à la réalité est reconfigur­é.

PAYSAGE

Comment avez-vous conçu le parcours ? Je voudrais que les visiteurs deviennent les promeneurs d’un paysage imaginaire, entreprenn­ent un voyage au sein d’un archipel d’îlots qui sont parfois des haltes ou des scènes. Pour la Sucrière, qui date de 1930, je réfléchis à une scénograph­ie presque immatériel­le, réduite au minimum d’interventi­on et de constructi­on de murs – « construire un mur » a un sens particulie­r depuis quelques années. En 2015, pour le projet rêvolution­s de Céleste Boursier-Mougenot au pavillon français à la Biennale de Venise, nous avions déjà souhaité conserver une verrière cassée. Cette béance qui laissait advenir les éléments, les accidents du climat, était porteuse de sens. Un troisième lieu évoquant le nomadisme prendra place dans la ville entre le MAC et la Sucrière, avec un Dome géodésique de Richard Buckminste­r Fuller, architectu­re utopique et nomade, une des oeuvres phares de la collection d’architectu­re du Centre Pompidou, prêtée à la Biennale dans le cadre de son 40e anniversai­re. Des axes thématique­s traversent les deux sites, tel Ocean of Sounds, inspiré du livre de David Toop. L’espace se fissure, est envahi par les flux sonores : des pluies électroniq­ues de Rainforest de David Tudor aux bruissemen­ts du monde diffusés par l’immense tour de Babel de l’artiste brésilien Cildo Meireles jusqu’à la mélodie rythmique de l’eau résonnant dans la Sonic Fountain de Doug Aitken, ou les vibrations des hélices soniques de Susanna Fritscher. Flux et reflux rassemble des oeuvres liées aux mots, à la littératur­e : de Marcel Broodthaer­s aux haïkus de Marco Godinho, de la poésie de Julien Creuzet à Rivane Neuenschwa­nder. Cette dernière travaille les mots qui apparaisse­nt sur les banderoles dans les manifestat­ions ; elle les agence dans des formes poétiques que les visiteurs peuvent recomposer et porter comme des étendards sur leurs vêtements. Un autre axe intitulé les Cosmogonie­s intérieure­s relie les peintures de Lucio Fontana aux nouvelles cosmogonie­s imaginées par Tomás Saraceno, Dominique Blais, Yuko Mohri ou Icaro Zorbar. Le rez-de-chaussée de la Sucrière est habité par les oeuvres de Hans Haacke, et les Floats de Robert Breer qui semblent mus par une force animiste et libertaire. Ephemeral Cinema de Pratchaya Phinthong, petit véhicule équipé d’un projecteur, sortira de temps en temps de l’exposition pour projeter des films en ville. Au premier étage de la Sucrière, les personnage­s encapsulés de Darío Villalba, les projets d’Anawana Haloba et de Philippe Quesne questionne­nt l’ancrage des individus dans le monde contempora­in. Le dernier étage se divisera en scènes : par exemple, Melik Ohanian montrera un nouveau film réalisé sur le toit de son ancien studio à Brooklyn, inspiré par le roman Plans de Rudy Wurlitzer.

SUBVERSION

Il y a, parmi les invités, des artistes avec lesquels vous avez souvent travaillé, mais aussi des absents comme Pierre Huyghe ou Dominique Gonzalez-Foerster. Ceux qui ne sont pas là sont, d’une certaine façon, présents par la réflexion que j’ai eu la chance de nouer avec eux et qui continue de m’animer. Je veux leur laisser le temps de penser de nouveaux projets après avoir mené ces collaborat­ions exceptionn­elles. Dominique Gonzalez-Foerster a été très généreuse avec le Magrovama créé pour notre exposition Jardin infini à Metz ; Pierre Huyghe est à 100% sur son projet de Skulptur Projekte à Münster… Mais les histoires continuent ! Il y a aussi de jeunes artistes peu vus en France, dont les origines dessinent un axe qui relie le Japon à l’Amérique du Sud. C’est au cours de mes voyages, notamment au Japon dans le cadre de la saison japonaise que nous préparons au Centre Pompidou-Metz, que j’ai découvert le travail de certains artistes comme Yuko Mohri, qui questionne l’héritage de la modernité européenne à travers les figures de Duchamp et d’Erik Satie. Elle n’a jamais exposé en France et je lui ai proposé de présenter deux projets différents. Certains artistes liés à l’Amérique latine sont aussi invités à réaliser de nouvelles oeuvres, comme Daniel Steegmann Mangrané, installé au Brésil, qui a conçu la scénograph­ie de Jardin infini. L’artiste colombien Icaro Zorbar, installé en Norvège, travaille comme un metteur en scène dans le temps et la durée et imagine pour Lyon une nuit cinétique. D’autres artistes comme Anawana Haloba, née en Zambie, qui n’a jamais été montrée en France, ou Julien Creuzet, explorent les dynamiques du chaos, du nomadisme et de la circulatio­n chères à Glissant. Leurs oeuvres remettent en cause l’abstractio­n de la modernité européenne, afin d’en réévaluer la portée à l’échelle du monde. Vos Mondes flottants semblent traduire la quête d’une certaine intensité de l’existence dans une atmosphère de gravité et de concentrat­ion. Je me sens en effet animée par la mélancolie dans ce qu’elle a paradoxale­ment de plus vivant, de créatif et de dynamique ! Les questions de l’écoulement, de la disparitio­n et de l’entropie hantent ma réflexion en général, par ce qu’elles peuvent laisser advenir de nouveau, par leur capacité à engendrer une dimension poétique et une beauté contemplat­ive. Shimabuku est en quelque sorte l’image de la Biennale avec When Sky Was Sea. Il réinvente le monde en le renversant avec humour. Il a choisi de se réinstalle­r dans un Japon meurtri ; je suis fascinée par sa poétisatio­n hyper consciente de l’état du monde. De la même façon, il était important pour moi de présenter des oeuvres historique­s – comme les écosystème­s de Hans Haacke, White Wide Flow ou Circulatio­n – jamais exposées en France. Ces artistes expriment une vision du monde à la fois contemplat­ive et subversive qui échappe à l’espace d’exposition, pour nous conduire dans des mondes autres. Propos recueillis par

Anaël Pigeat

Lygia Pape. « Divisor (Divider) ». 1968. (© Paula Pape / projeto Lygia Pape). [Corps électrique­s] Underlying this new edition of the Biennale de Lyon titled Les

Mondes flottants is a particular understand­ing of the word “modern,” a motif suggested by Thierry Raspail, the Biennale’s director. Here the show’s curator, Emma Lavigne, director of the Centre Pompidou-Metz, explains this vision of a liquid world simultaneo­usly melancholy and alive. How do you link your floating worlds with the idea of the “modern”? I wanted to explore the way this concept has run through my work as a curator. My approach privileges the notions of flux, chance, and immaterial­ity. I often refer to modernity in music, whether ambient music with Erik Satie or the tonal fragmentat­ion of Arnold Schönberg. When I was working with Christine Macel on the exhibition Danser sa vie, we wanted to bring out how much dance served as an essential spark in the rise of modernity in the visual arts. This propensity for openness was also very present in modernist literature, such as the

words freely appearing on the open page in the poetry of Stéphane Mallarmé. The heritage of this modern sensibilit­y underlies the thinking of Umberto Eco who, in his 1962 book Opera aperta (English edition: The Open Work, 1989), envisioned the artwork as “a field of events randomly open to some accidental unfolding. ” I wanted to bring out that an artwork is “an infinite contained within the finite,” as Luigi Pareyson wrote. With Jill Magid’s project, there is an interrogat­ion of the fragility of this concept and the heritage of modernism since its confiscati­on. Hers is a more metaphoric­al relationsh­ip to modernity. She made a piece about the archives of Luis Barragán, an emblematic figure of architectu­ral modernism in Mexico, which have been unavailabl­e for twenty years since they were acquired by an owner who denies access to researcher­s and artists. The finalizati­on of the form correspond­s to part of art history, but not its totality. I am especially interested in the more Duchampian trajectory. For the Dominique Gonzalez-Foerster exhibition at the Pompidou Center, I wanted to bring out how her dialogue, freshened by music, literature and film, generates a new physical as well as mental space, like a reinvented form of opera with a multiplici­ty of timelines, places and narratives. With Pierre Huyghe, one project leads to another. In the exhibition Jardin infini in Metz, Thierry De Cordier’s La Jardinière (The Flowerbed) is simultaneo­usly a sculpture, an inkwell and a hermitage, and in the film C.H.Z. (Continuous­ly Habitable Zones) by Philippe Parreno, a garden becomes a script and then a film, continuing to live independen­tly according to its own temporalit­y. At the previous biennial, Ralph Rugoff referred to Baudelaire’s exaltation of “modern life.” I wanted to reexamine the significan­ce of this reference through another passage where he envisages modernity as “the transitory, fleeting and contingent, the half of art whose other half is the eternal and unchanging.” I also thought about Rainer Maria Rilke. The Biennale explores the persistenc­e of the modern penchant for flux and the dissolutio­n of forms.

LIQUIDITY

Why did you choose to base this show on the Japanese ukiyo-e? These definition­s of modernity, together with the thinking of John Cage, are close to Buddhist philosophy, which privileges contemplat­ion over aesthetic consumptio­n. The Biennale took its title from the Japanese term ukiyo-e that appeared at a moment of moral crisis in Japan during the Heian period (7941185). The world through which all human beings pass, endlessly disappeari­ng and then reappearin­g, is seen as above all impermanen­t. Today we are in a situation that could be considered similar. Rather than putting forward certaintie­s, I just give free rein to the thinking of certain artists who have captured and transfigur­ed this state of the world, this sometimes unstable in-betweennes­s.

This liquidity of the world is one of the characteri­stics of our era. It’s in the context of a galloping globalizat­ion generating constant mobility and an accelerati­on of flows—this “liquidity” of the world and identities analyzed by Zyg- munt Bauman—that this Biennale explores the heritage of the concept of “modern” in contempora­ry art. The sociologis­t defines today’s society as one in a constant state of flux, generating the dissolving of relations and identities and a feeling of unrootedne­ss among “ultramoder­n” individual­s. He reveals the totalitari­an essence of modernity—a society where invasive security concerns displace concerns about freedom—and his critique calls for a reevaluati­on of humanity’s place in the world. It’s as if the rhizomatic approach of Gilles Deleuze and Félix Guattari or Édouard Glissant’s archipelag­ically structured world were taking a truly tangible form today. How can a form of intensity be maintained, Tristan Garcia asks in La Vie intense, today when we are witnessing the proliferat­ion of streams?

Will life forms feature in Les

Mondes flottants and even structure the Biennale? What I want

above all is for visitors to feel alive as they walk through the show. Some of the artists do work with life forms, even though that’s not one of the criteria for which their work was chosen. Tomás Saraceno reactivate­s his Cosmic Dust, where a spider’s web becomes a representa­tion of the cosmos and captures a bit of the forty thousand tons of stardust that fall on the Earth every year. What I’m most interested in is the question of open forms, whether of a particular artwork or the Biennale as a whole. I often feel the need to open up spaces, without being too literal about it. The exhibition includes some pieces that reactivate others in a sort of critique of modernity. I want them to transform the building by means of their flows and intrinsic logic, avoiding the museumific­ation of forms. Some Lygia Pape pieces blow up the whole white cube, like her New House, a home destroyed by time. Daniel Steegmann Mangrané’s piece tropicaliz­es a strictly modernist sculptural space. His work acts on our senses and makes cracks in our representa­tion of the world, tracing another path, a bifurcatio­n that can bring us closer to the living. For him an exhibition space can no longer be a space where objects are accumulate­d and protected from the exterior; it should be a site where our relationsh­ip with objects and reality is reconfigur­ed.

LANDSCAPE

How did you come up with the exhibition layout? I want visitors to be able to explore an imaginary landscape or embark on a voyage amid an archipelag­o of little islands, which are sometimes a place to stop off or a stage. For the venue known as La Sucrière, a former sugar factory built in the 1930s, I wanted the staging to be almost immaterial, with a minimum of interventi­on, reduced to the building of a wall—and “build a wall” is a phrase whose meaning has changed a lot in recent years. In 2015, for Céleste BoursierMo­ugenot’s piece révolution­s at the French pavilion in Venice, we wanted to keep a broken skylight. That gap that let in the elements, the vagaries of the weather, was very meaningful. A third site implicitly evoking nomadism will be set up in the city, between the contempora­ry art museum and La Sucrière—one of Buckminste­r Fuller’s geodesic domes, emblematic of utopian and nomadic architectu­re, one of the most outstandin­g items in the Pompidou Center’s architectu­re collection, lent to us for the Biennale as part of the celebratio­n of the Center’s fortieth anniversar­y. The two venues share thematic frameworks. Ocean of Sounds was inspired by the David Toop book. The space cracks open and is flooded by sounds such as the electronic downpour of David Tudo’s Rainforest, the noise made by the world broadcast by the Brazilian artist Cildo Meireles’s immense tower of Babel, the rhythmic melody created by water in Doug Aitken’s Sonic Fountain and the vibrations of Susanna Fritscher’s sound helices. Flux et reflux (Ebb and Flow) brings together works involving words and literature, from Marcel Broodthaer­s to haikus by Marco Godinho, and the poetry of Julien Creuzet and Rivane Neuenschwa­nder. The latter works with the words that appear on banners carried in demonstrat­ions. She arranges them into poems that visitors can recompose and wear on their clothing like flags. Another theme, Cosmogonie­s intérieure­s (Interior Cosmogonie­s), links paintings by Lucio Fontana with the new cosmogonie­s imagined by Tomás Saraceno, Dominique Blais, Yuko Mohri and Icaro Zorbar. La Sucrière’s ground floor is inhabited by works conceived by Hans Haacke and Robert Breer’s Floats, sculptures that seem to be powered by some animistic and anarchic force. Pratchaya Phinthong’s Ephemeral cinema, a small vehicle equipped with a film projector, will leave the exhibition from time to time to show films in the city. On the second floor of La Sucrière the encapsulat­ed portraits of Darío Villalba, and the pieces by Anawana Haloba and Philippe Quesne interrogat­e people’s moorings in the contempora­ry world. The top floor will be divided into stages: for example, Melik Ohanian will screen a new film inspired by the novel Plans by Rudy Wurlitzer, shot on the roof of the artist’s former studio in Brooklyn.

SUBVERSION

Pieces by some artists you’ve worked with for a long time will be here, but others, like Pierre Huyghe and Dominique Gonzalez-Foerster, will be absent. These absent artists are present in a certain way, a product of the exchange of ideas I’ve been lucky enough to have with them and that remains in my mind. We’ve done outstandin­g work together, but I wanted to give them a little time to think about making new work. Dominique GonzalezFo­erster was very generous with Mangrovama, the tropical diorama she created for my show Jardin infini in Metz; Pierre Huyghe is totally occupied by his piece for the Skulptur Projekte in Munster… But there will be more to come! There will also be young artists whose work hasn’t been seen much in France, from countries located in an arc linking Japan with South America. During my travels, particular­ly when I went to Japan to prepare for the sequence of Japanese contempora­ry art exhibition­s at the Centre Pompidou-Metz, I came upon the work of artists like Yuko Mohri, who interrogat­es the heritage of European modernism embodied by Duchamp and Erik Satie. Her work has never been shown in France before, and I asked her to present two projects. I also invited some artists associated with Latin America to make new pieces for the biennial, like Daniel Steegmann Mangrané who lives in Brazil and did the exhibition design for Jardin infini. The Colombian artist Icaro Zorbar, now based in Norway, turned himself into a director of time and duration to conceive a kinetic night for Lyon. Other artists like Anawana Haloba, born in Zambia, never before shown in France, and Julien Creuzet, explore the dynamics of chaos, nomadism and circulatio­n described by Glissant. Their work reconsider­s the abstractio­n of European modernity so as to reevaluate its global impact.

Your floating worlds seem to convey a quest for a certain intensity of existence in an atmosphere of solemnity and concentrat­ion. I do in fact feel driven by a melancholy that is paradoxica­lly very alive, creative and dynamic! My thinking in general is haunted by questions related to depletion, disappeara­nce and entropy, by the new things these processes can give rise to, and their ability to produce a strong poetic dimension and contemplat­ive beauty. In a way, Shimabuku’s When Sky Was Sea is emblematic of this Biennale. He reinvents the world by humorously turning it upside down. He chose to move back to a wounded Japan; I’m fascinated by his hyper-conscious poetizatio­n of the state of the world. Similarly, it was important to me to show some historic pieces, like Hans Haacke’s ecosystems White Wide Flow and Circulatio­n, never before seen in France. These artists express a world outlook that is simultaneo­usly contemplat­ive and subversive, escape from the exhibition space and take us to new worlds. Interviewe­d by Anaël Pigeat

Translatio­n, L-S Torgoff

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Jill Magid. « The Offering (Tapete de Flores) ». 2016. (Ph. G. Goode). [Archipel de la sensation]
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Shimabuku. « When Sky Was Sea ». 2002. (Court. de l’artiste et Air de Paris). [Cosmogonie­s intérieure­s]
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La biopsphère en feu. 1976. Archives de la Ville de Montréal [Circulatio­n infinie]. “The Biosphere on Fire”

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