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Sungsic Moon Caroline Ha Thuc

- Caroline Ha Thuc

Dans un style figuratif presque naïf, les dessins et peintures de Sungsic Moon dépeignent des scènes de vie quotidienn­e dans la Corée du Sud contempora­ine. Derrière la simplicité apparente de son trait se cachent les multiples strates d’une culture complexe, hybride, tiraillée entre ses nombreuses traditions et les nouvelles valeurs occidental­es. Hommes et paysages s’y exposent dans leur vulnérabil­ité et leur beauté naturelle.

Sungsic Moon dessine avec passion depuis qu’il est enfant. Ses premières oeuvres au crayon sont issues de sa mémoire, souvenirs de scènes familiales, portraits des gens de sa ville natale et tranches de vie quotidienn­e des paysans de sa région. Brouillés par le temps, ces souvenirs sont devenus personnels et, indirectem­ent, parlent de l’artiste lui-même et de l’homme en général. Moon ne cherche pas à renouer avec ses sentiments originels, mais souhaite exprimer sa compréhens­ion du monde. Certaines scènes qu’il dépeint sont très personnell­es, comme la mort de sa grand-mère dans Stars, a Scope Owl and My Grand mother (2007) : un triangle blanc est suspendu dans l’arbre de la cour de sa maison natale, en signe de deuil, tandis que les membres de sa famille se sont rassemblés pour un repas. Le dessin se veut l’honnête et exacte représenta­tion du souvenir de cette soirée-là, entre une réalité douloureus­e et un moment serein sous les étoiles. D’autres dessins touchent à des sentiments plus universels, comme lorsqu’il représente des scènes de funéraille­s ou cette femme seule dans une maison vide dans House of a Widow (2002). Récemment, son travail s’est davantage tourné vers l’observatio­n quotidienn­e de son environnem­ent, comme avec Dancing Girl (2013), un portrait tout en énergie d’une femme dansant, ou Couple in Dispute (2016), un couple se disputant dans la ville, par une nuit d’hiver.

SYMPATHIE ET ÉMERVEILLE­MENT Les thèmes principaux de ses dessins sont inspirés par son sens de la compassion et par son affection pour l’être humain. Ce senti-

ment est basé sur la sympathie et l’émerveille­ment qu’il éprouve face à toute forme de vie, mais aussi sur la pitié qu’il ressent devant la vulnérabil­ité humaine. I Need One More Arm on Rainy Days (2002) représente une femme handicapée qu’il a croisée, se débattant avec son parapluie. La famille est également au coeur de son travail, pilier d’une société confucéenn­e fragilisée par la séparation entre la Corée du Nord et du Sud, et par les nouveaux modes de vie.

NATURE OMNIPRÉSEN­TE Moon a grandi jusqu’à l’âge de 15 ans à la campagne, dans une région agricole au centre de la Corée du Sud, et la nature fait partie intégrante de sa vie. Elle est omniprésen­te dans son travail, sous la forme d’arbres immenses, de forêts denses ou de lacs profonds. Ses oeuvres opposent souvent l’homme et la nature, tout en montrant leur inévitable lien. Par exemple, la peinture Interior Forest (201516) ressemble à un collage : les arbres, les feuilles et les créatures vivantes cohabitent étroitemen­t sans pour autant se mélanger, chacun bien délimité par le contour précis du dessin, tandis que la couleur, elle, semble vouloir se répandre. Chez Moon, l’homme est souvent tout petit mais toujours actif, coupant du bois, chassant, pêchant dans des eaux noires, comme dans My Brother and I (2008). Son style se fait plus vif quand il s’agit de décrire la nature, traits accumulés et déterminés, formant des taches sombres, tandis que les scènes humaines sont décrites avec une attention calme et avec précision. People (2012) illustre bien ce contraste et l’indifféren­ce de la nature face à la complexité – mais aussi la trivialité – de la vie humaine : la scène d’enterremen­t se déroule au centre d’une clairière, encerclée d’arbres drus et noirs à la fois droits et couchés, chaotiques. Les hommes s’en détachent par leur silhouette fine et détaillée, presque comiques, tant ils semblent distants et fermés à leur environnem­ent. Parfois, cependant, la nature déborde. Dans Dispute in Cold (2016), les personnage­s sont traversés par les traits qui représente­nt les branches de la forêt qui les entoure, et leurs visages sont comme griffés, pris entre une nature hostile et leur propre altercatio­n.

BEAUTÉ SIMPLE Moon aborde ses scènes d’un point de vue aérien, teintant son réalisme d’une étrange naïveté enfantine. Les règles de la perspectiv­e, chez lui, sont brouillées. Il se réfère ainsi à la peinture traditionn­elle coréenne, étrangère aux règles classiques occidental­es. Son travail s’inspire des maîtres anciens qui s’appuyaient sur des détails précis pour décrire leur temps et leur culture, artistes réalistes de la Renaissanc­e comme Dürer, qu’il admire, mais aussi des peintres de miniatures indiennes ou persanes, et des peintres coréens de la période Joseon. Il partage la simplicité de ces derniers, connus pour leur humilité et pour leur recherche d’une beauté simple et ordinaire. En particulie­r, Moon se sent très proche de Jeong Seon, célèbre pour ses paysages réalistes, et de Kim Hong-do, dont les oeuvres décrivent la vie quotidienn­e de son époque. Certains dessins en noir et blanc réalisés à l’acry- lique sur papier, tels que Old Man’s Body (2013), un portrait saisissant d’un vieil homme nu, ou Old Son and the Older Mother (2013), dans lequel un fils conforte sa grandmère, peuvent en effet être rapprochés de certaines peintures à l’encre de ce maître du 18e siècle, dans lesquelles les personnage­s sont également isolés sur un fond blanc. Comme ces artistes, Moon souhaite créer un art capable de refléter la réalité contempora­ine de son pays et de sa culture. Il se sent pris dans ce qu’il nomme une « discontinu­ité culturelle », entre ces profondes traditions et la vie bouillonna­nte du Séoul contempora­in où il vit aujourd’hui. Il compare sa pratique artistique à un plat traditionn­el coréen, le bori gulbi, un préparatio­n de poisson séché conservé dans du sel et de l’orge pendant de longs mois, symbolisan­t l’art de vivre coréen. En toile de fond, une Corée profondéme­nt transformé­e par sa réussite économique récente et par les bouleverse­ments sociaux et culturels qu’elle suscite.

Caroline Ha Thuc est critique d’art, commissair­e d’exposition indépendan­te.

De haut en bas / from top: « Rectangula­r Garden ». 2004. Acrylique sur toile. 112 x 324 cm. Acrylic on canvas « Interior of a Forest ». 2010 -2011. Acrylique sur papier. Acrylic on paper

Sungsic Moon ‘s drawings, with their almost naïf figurative style, depict daily life in South Korea today. Hiding behind the apparent simplicity of his line are the multiple layers of a complex and hybrid culture caught between its many traditions and new Westernize­d values. People and landscapes are shown with their vulnerabil­ity and natural beauty.

Sungsic Moon has been drawing passionate­ly since he was a child. His first pencil sketches were taken from memories, domestic scenes, portraits of people in his hometown and slices of the lives of the region’s small farmers. Blurred by time, these memories become personal, and, indirectly, speak of the artist himself and humanity in general. Moon isn’t trying to recall his original feelings. He wants to express how he understand­s the world. Some scenes he depicts are highly personal, like the death of his grandmothe­r in Stars, a Scope Owl and My Grandmothe­r (2007): a white triangle, a sign of mourning, hangs from a tree in the courtyard of the house where he was born while family members assemble for a meal. The drawing seeks to be an honest and precise representa­tion of his remembranc­e of that evening, a painful reality and at the same time a serene moment under the stars. Other drawings convey more universal sentiments, such as his representa­tions of funerals and of a woman alone in an empty house in House of a Widow (2002). Recently he has turned to the observatio­n of his everyday environmen­t, like the energetic portrait Dancing Girl (2013), and the Couple in Dispute (2016), seen on a winter’s night in the city.

SYMPATHY AND WONDERMENT His drawings’ main themes are inspired by his compassion and affection for human beings. This sentiment arises from the sympathy and wonderment he feels for every life form, and his pity for human vulnerabil­ity. I need more arm on rainy days (2002) shows a handicappe­d woman he ran into struggling with her umbrella. Another core theme is the family, the pillar of Confucian society weakened by the separation of North and South Korea and by new lifestyles. Until he was fifteen Moon grew up in the countrysid­e, in a farming area in the middle of South Korea. Nature is an integral part of his life. It’s omnipresen­t in his work, in the form of immense trees, dense forests and deep lakes. In his work people and nature are often seen in opposition to each other, even as it also shows their inevitable connection. For example, the painting Interior Forest (2015-16) resembles a collage: trees, leaves and living creatures live closely together but don’t mix. Each is delimited by a precisely drawn outline, while the color, on the other hand, seems to want to escape these boundaries and spread out.

SIMPLE BEAUTY In Moon’s drawings people are often very small but very active, cutting wood, hunting, fishing in dark waters like My Brother and I (2008). His style becomes livelier when he describes nature, the lines piled up and determined, forming dark splotches, while human scenes are portrayed with calm attention and precision. People (2012) is a good example of this contrast and nature’s indifferen­ce in the face of the complexity— and triviality—of human life. A burial takes place in a clearing surrounded by thick, black trees, chaoticall­y arranged, some lying down and others standing straight. People stand out from this background because of their thin, detailed silhouette­s, looking almost comical, while they seem distant from their environmen­t and closed off from it. Sometimes, however, nature overflows. In Dispute in Cold (2016), the characters are traversed by lines representi­ng the forest branches surroundin­g them, so that their faces seem covered with scratches inflicted by a hostile environmen­t as well as their own altercatio­ns. Moon likes to depict his scenes from above, his realism tinged with a strange chil- dish naivety. He doesn’t quite respect the rules of perspectiv­e. This is a reference to traditiona­l Korean painting, which doesn’t follow classical Western rules. His work is inspired by ancient masters who painted very precise details to describe their times and culture, realist Renaissanc­e artists like Durer whom he admires, Indian and Persian miniaturis­ts, and Korean painters of the Joseon period. He shares the simplicity of the latter, known for their humility and search for simple, ordinary beauty. In particular, Moon feels very close to Jeong Seon, celebrated for his realistic landscapes, and Kim Hong-do, who portrayed the everyday life of his era. Some black and white acrylic drawings on paper, like Old Man’s Body (2013), a striking portrait of a nude old man, and Old Son and the Older Mother (2013), in which a son comforts his grandmothe­r, can be compared with ink paintings by that eighteenth-century master, in which the figures stand out against a white background. Like those artists, Moon seek to make art that can reflect the contempora­ry reality of his country and culture. He feels trapped in what he calls a “cultural discontinu­ity,” between the country’s deeply rooted traditions and effervesce­nt life in Seoul where he lives today. He compares his artistic practice to bori gulbi, a traditiona­l dish made of dried fish kept preserved in salt and barely for several months before eating, a symbol of the Korean art of living. In the background is a Korea deeply transforme­d by its recent economic success and the resulting social and cultural upheavals.

Translatio­n, L-S Torgoff

Sungsic Moon Né en 1980. Vit et travaille à Séoul Exposition­s personnell­es : 2006 Windless Landscape, Kimi Art Gallery, Séoul 2011 Landscape Portrait, Kukje Gallery, Séoul 2013 Doosan Residency, Seoul / New York 2016 Uncanny World, Doosan Gallery, Séoul Exposition­s collective­s : 2012 Unfinished Journey, Cais Gallery, Séoul SEMA Nanji Art Studio 6th Open Studio, Nanji Gallery Landscape, Hite Collection, Séoul Flower in the Moment, OCI Museum of Art, Séoul DRAW, Gallery Royal, Séoul 2014 Home, Where the Heart is, Arko Art Center, Séoul 2015 Black Variation, space bm ; Art Wall Space, Gana Art Space, Séoul Face, Portrait, a Sculpted Group, Maison de LeeUngno, Hongseong 2016 Korean National University of Arts School of Visual Arts 20th Anniversar­y

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« House of a Widow ». 2002. Crayon sur papier. (Toutes les images/ all images: court. de l’artiste et Kukje Gallery, Séoul). Pencil on paper
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« Stars, a Scope Owl and My Grandmothe­r Grandmothe­r ». 2007. Crayons sur papier. 48,5 x 106 cm. Pencil on paper

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