Jérôme Zonder
Musée Tinguely / 7 juin - 1er novembre 2017
Après son exposition à la galerie Eva Hober en mars dernier (elle vient de publier un nouveau catalogue de l’artiste richement illustré), Jérôme Zonder est l’hôte du musée Tinguely à l’occasion de l’installation dans une nouvelle salle d’un ensemble de quatorze sculptures de Tinguely constituant son oeuvre Mengele-Danse macabre (1986). En écho à cette dernière, Zonder a imaginé une Dancing Room aux murs couverts de dessins, prolongeant la tradition moyenâgeuse, hautement développée à Bâle, des représentations de rondes funèbres. On connaît la puissance dramatique du travail de ce dessinateur qui, au moyen d’une palette de couleurs limitée au noir et blanc, nous plonge dans le brasier toujours fumant de l’histoire et de ses atrocités. Ses larges reproductions, exploitant un procédé d’empreintes digitales à la poudre de graphite, de minuscules clichés sortis clandestinement d’Auschwitz et montrant des femmes poussées dans la chambre à gaz, ont notamment frappé les esprits. Certains de ces dessins, particulièrement bouleversants par leur véritable approche tactile du corps des victimes, figurent sur l’un des murs tapissant sa Dancing Room. Car du feu, de la fumée et des camps de la mort, il est aussi question dans l’oeuvre tardive de Tinguely à laquelle introduit son intervention. Mengele-Danse macabre se compose en effet de machines récupérées dans la ferme d’un voisin du sculpteur totalement détruite par un incendie. Or, l’une de ces machines agricoles retirées des restes carbonisés et des ossements d’animaux portait la marque de l’entreprise Mengele, appartenant à la famille du médecin de sinistre mémoire. Mais le contexte bâlois a aussi inspiré à Zonder plusieurs oeuvres pareillement saisissantes. Une petite peinture sur bois de Baldung Grien, la Mort et la jeune fille, exposée au Kunstmuseum de Bâle, est ainsi à l’origine d’un grand dessin dans lequel on retrouve avec étonnement, alors qu’il est réalisé au fusain et à la mine de graphite, toute la transparence et l’éclat de la chair propres à la pratique des peintres. Autre oeuvre réalisée spécialement pour l’exposition, une fresque de plus de cinquante mètres carrés comportant douze panneaux sur toile exécutés d’après l’iconographie des films d’horreur du type la Nuit des morts vivants. Pour Zonder, habitué à circuler dans son travail du domaine du cinéma à celui de l’art et de l’histoire, les films de zombies qui hantent les écrans à partir des années 1970 sont l’équivalent, dans le monde contemporain, des danses macabres. Le mort-vivant accroché au cou de ses malheureuses proies, qui leur arrache la peau et les précipite dans la tombe, suscite une terreur à laquelle seuls l’art et le rire, capables de convertir l’angoisse en plaisir, donnent la possibilité d’échapper. Dans son immense dessin, Zonder reproduit une foule compacte d’individus aux yeux exorbités qui tendent les mains, comme pour appeler le spectateur à l’aide. Dès lors, comment ne pas se sentir interpellé par son oeuvre ? Comment ne pas entrer dans la danse ?
Catherine Francblin After his show last March at the Eva Hober gallery (which just published a new richly illustrated catalogue of his work), Jérôme Zonder was asked to create a room of his own for the Basel Jean Tinguely museum on the occasion of its inauguration of a purpose-built exhibition space for Tinguely’s Mengele-Totentanz (1986), a set of fourteen sculptures. In dialogue with Tinguely, Zonder’s Dancing Room, with its drawing-covered walls, references the medieval tradition of funeral dances (danses macabres) especially associated with Basel. This draftsman is well known for the power of his drawings. With a color range limited to black and white, they plunge us into the still smoking inferno of history and its atrocities. Visitors can’t help but flinch at the blown-up reproductions (using a powdered graphite process to make digital “fingerprints” of the original) of tiny photos smuggled out of Auschwitz showing women being driven toward the gas chambers. Some of these drawings, particularly moving because of the almost tactile treatment of the victims’ bodies, cover a wall of his Dancing Room. This intervention also echoes Tinguely’s late work, with its fire, smoke and death camps. Tinguely’s Mengele-Danse macabre is comprised of machinery salvaged from a neighbor’s farm totally destroyed by a fire. One of the machines pulled out of the carbonized remains and animal bones bore the trademark of the Mengele company, belonging to the family of the infamous doctor. But the context of Basel also inspired Zonder to make other, equally striking pieces. Death and the Maiden, a small painting on wood by Baldung Grien, on view at the Basel Kunstmuseum, was the source material for a large drawing that, although done with charcoal and graphite, retains all the transparency and brilliance associated with painting. Another work made for this exhibition, an almost fifty square meter frieze, is made up of a dozen canvas panels utilizing the iconography of horror films such as Night of the Living Dead. For Zonder, used to going back and forth from movies to art and history in his work, the zombie films that began to haunt move theaters in the 1970s are the modern equivalent of danses macabres. The living dead gnawing at the neck of their unfortunate prey, stripping off their flesh and tossing them into a grave, provoke a sense of terror that only art and laughter, with their ability to turn fear into pleasure, can allow us to escape. In his immense drawing, Zonder reproduces a compact crowd of individuals with bulging eyes and holding hands, as if appealing to the viewer for help. How can we not feel this work calling on us to join the dance?
Translation, L-S Torgoff