Daniel Firman
La Base sous-marine / 8 juin - 27 août 2017
La Base sous-marine est un impressionnant bunker de protection réalisé par les Allemands pour abriter des flottilles de sous-marins U-Boote, pendant la Seconde Guerre mondiale. Sa construction a nécessité des milliers de prisonniers, notamment républicains espagnols, dont beaucoup ont péri au cours de ce chantier dantesque. Elle est aujourd’hui un étonnant lieu culturel. Pour son exposition intitulée Black Whole for Whales, Daniel Firman se confronte à cette structure architecturale sans chercher à contourner son aspect monumental, obscur, voire inquiétant. Il s’appuie pleinement sur les repères qui orientent, selon des perspectives saisissantes, l’ensemble des éléments, lui accordant toute sa singulière sévérité. Il en restitue, au travers de la métaphore, son statut de construction démesu- rée, c’est-à-dire d’édifice aux proportions écrasantes, et de bloc de mémoire. Pour cela, Daniel Firman présente trois oeuvres inédites et disposées dans trois espaces choisis pour leur potentiel de résonance. À l’extérieur, sur le côté face à la ville, il place un néon violet, couleur de la transition au lever et coucher du soleil, de soixante mètres de long, composant la phrase Something Strange Happened Here, et pointant toutes les sédimentations qui se constituent à l’intersection de la légende, du vécu et de l’actualité de ce bâtiment. L’étrangeté constitue la matière même de la relation à ce lieu, et entraîne dans une épaisseur dans laquelle il faut se perdre pour retrouver ce que l’on cherche inconsciemment à saisir. L’installation sonore Black Whole for wWales diffuse, dans la pénombre des bassins, des chants de baleines combinés à des notes jouées par un quatuor à cordes. Une telle entreprise relève d’une quête de l’image inaccessible. Dans l’une des alvéoles, un éléphant taxidermisé est suspendu par la trompe au plafond, et s’abandonne à une lente rotation, juste au-dessus du sol. Cette virtuosité acrobatique s’accompagne d’une musique composée en collaboration avec Guillaume Gesquière, qui s’imprègne de la mélancolie de l’accord suspendu, Suspended Chord. L’environnement, la baleine et l’éléphant se rejoignent et participent, certes à des allures différentes, au même mouvement. Si, au premier abord, on est surpris par ces échanges entre des intrigues qui se superposent, très vite on sent comment elles s’organisent en profondeur, et on se laisse prendre à l’entrelacement d’un récit qui développe sur plusieurs plans ses figures, ses bifurcations et ses échos. Ces trois oeuvres sont comme des points d’impact qui propagent dans la Base sous-marine des mots, des sons, des visions et des émotions. Elles suscitent des fils conducteurs qui donnent à leur tour naissance à un faisceau de propositions, d’informations et de déplacements. Elles ne se présentent pas comme des impératifs insistants et stricts, mais comme une dynamique qui subtilement perturbe, modifie la perception de l’espace et de tout ce qui s’y inscrit. Elles impliquent ainsi les spectateurs dans l’imaginaire d’une relation de l’ordre d’un questionnement constant.
Didier Arnaudet
La Base sous-marine in Bordeaux is a former submarine pen used by the Germans to protect their impressive fleet of U-boats during the Second World War. It was built by thousands of prisoners, many of them Spanish Republicans who died during the hellish construction project. Today it’s an amazing cultural center. For his show Black Whole for Whales, Daniel Firman took on this edifice directly without trying to get around its monumental, obscure and disturbing qualities. Instead, he has relied on structu- ral elements that impose striking perspectives and produce a distinctive impression of severity. He metaphorically restores the site’s status as both a massive feat of construction and a concrete embodiment of memory. To this end he is presenting three never before shown pieces in three spaces chosen for their potential resonance. Outside, facing the city, he set up a sixty meter-long neon light, purple like the color of the sky in transition at dusk and dawn, with the words “Something Strange Happened Here.” This piece points out the sedimentations constituted at the intersection of the edifice’s legend, lived experience and current existence, drawing us into a thickness where we must lose ourselves to find what we are unconsciously looking for. The sound installation Black Whole for Whales fills the shadowy dry docks with the singing of whales accompanied by a string quartet. The image is inaccessible, but all our senses are brought into play. In one of the honeycombs a stuffed elephant hangs from the ceiling by its trunk, slowing rotating just above the ground. This acrobatic virtuosity is accompanied by music written in partnership with Guillaume Gesquière, infused with the melancholy of the Suspended Chord. The environment, whale and elephant, as different as they may look, make up a single moving ensemble. While at first we are surprised by these exchanges between superimposed intrigues, we quickly come to feel their profound mutual organization, and let ourselves be carried away by the intertwining of a narrative whose figures, bifurcations and echoes unfold on several levels. These three pieces are like impact holes through which words, sounds, visions and emotions spread throughout the submarine base. They produce common thematic threads that in turn give rise to a whole cluster of propositions, information and displacements. They appear not as insistent and strict imperatives but a dynamic that subtly perturbs and modifies our perception of space and all that is in it. They also pull us into an imaginary of a relationship wrought by a constant questioning.
Translation, L-S Torgoff