FRÉDÉRIC D. OBERLAND
Labyrinth Les Larmes de Minos Production Labanque 2017
Frédéric D. Oberland est musicien et photographe. Travailleur insatiable, il a, en quelques années, créé plusieurs groupes (Oiseaux-Tempête, Le Réveil des Tropiques, The Rustle of the Stars, FareWell Poetry ou désormais FOUDRE!). Son univers musical est pétri par l’image, qu’elle soit cinématographique, photographique ou tout simplement onirique : celle-ci est souvent épaisse et matiérée, granuleuse et mystérieuse ; toujours habitée d’une nuit, d’un noir et blanc plein de contrastes. Pour l’intégralité des sous-sols de Labanque, il crée, avec l'aide de Jules Wysocki, un labyrinthe sonore, sa première installation dans un espace d’art contemporain. Il imagine ainsi une forme sonore spatialisée, aux modulations nombreuses, comme un récit composé de huit chapitres en dialogue avec l’architecture particulière des sous-sols (il disperse des enceintes dans l’ancien monte-charge grillagé, les salles coffrefort aux murs en béton armé, ou encore la salle des archives de la Banque de France meublée de casiers de fer).
Le parcours est propice à la déambulation et bien entendu à l’immersion. Ce dernier terme est sans doute clé pour saisir la spécificité de cette entreprise ténébreuse : ce que nous pouvons y entendre – une oeuvre issue d'expérimentations acoustiques formant une boucle de 45 minutes – nous enveloppe : « Le labyrinthe est plongé dans le noir. En déambulant dans les corridors et dans les pièces, on distingue les issues de secours éparses. Nous sommes au coeur d’un magma sonore constitué de vrombissements, crépitements, souffles, tintements, chocs percussifs, larsens, bribes de notes, patterns, voix : un agrégat musical, un cocon sonore ouaté mais déchirant. C'est en dérivant – selon une psychogéographie du labyrinthe – que le spectateur immergé fait l'expérience du souterrain, les yeux et les oreilles vers la nuit, son mystère, ses lumières, ses bruissements, son chaos », décrit Oberland. Celui-ci s’est ins-
piré de l’Expérience intérieure de Bataille, notamment de la partie « Le labyrinthe (ou la composition des êtres) », où l’on peut lire : « un homme est une particule insérée dans des ensembles instables et enchevêtrés1 ». Nous y sommes : au coeur du voyage, contraints à la perte de repères, sur le fleuve menant du connu à l’inconnu. La mélodie est assumée mais comme transpercée d’incertitudes, si bien que la traversée phonique des espaces peut être rugueuse, malmenée, tout comme se révéler harmonieuse. Minos, dans la mythologie grecque, fut bien celui qui enferma le Minotaure dans le labyrinthe de Dédale, et ses yeux nous regardent depuis la lumière d’une photographie présentée sous caisson lumineux dans l’obscurité, au coeur du périple. Dante n’est pas loin, et le dernier chant de son Enfer, lu en italien par une voix féminine, habite l’espace. Nous pourrions être dans une grotte ou dans les entrailles de la Terre, et nous comprenons alors que l’exposition Intériorités, dans sa structure géographique même, obéit à un mouvement ascendant : depuis ces sous-sols, cet égarement dans la « forêt obscure » et vibrante où les forces entrent en action, jusqu’au sommet du bâtiment, qui n’est autre que le cratère d’un volcan. LB