ANNE LAURE SACRISTE
« Extrême éclat : je suis aveugle, extrême nuit : je le reste. 1 » Le Soleil brille aussi la nuit, l’installation que propose Anne Laure Sacriste pour Intériorités, met en scène la puissance du regard, en explorant la nuit des images, celle de nos désirs et de nos fantasmes. En investissant l'une des grandes pièces de réception du premier étage de l’ancienne Banque de France, l’artiste invite le spectateur à mettre à l’épreuve sa perception, en déjouant les dispositifs traditionnels de la représentation. Deux espaces sont ainsi séparés par un claustra de bois ajouré selon un motif de William Morris, lointain écho des grilles carmélites sous le signe ici de l’ornement. Les arts décoratifs sont importants à la fois dans la formation et le travail d’Anne Laure Sacriste, pour qui la beauté essentielle d’un textile, d’un motif, d’une céramique, va de pair avec sa démarche picturale. Ainsi se côtoient une peinture monochrome et une toile reprenant des motifs de papiers peints, des tortues sculptées et vivantes, (voir par exemple son exposition à la galerie municipale Julio Gonzales à Arcueil, Ta
bleaux : nature morte, still life, 2016). Cette À présence de l’art dans la vie et cet entremêlement de nature et de culture ont aussi été au coeur de son expérience de plusieurs mois au Japon, où le raffinement habite l’esthétique du quotidien.
Dans ce double espace d’exposition, réel et fantasmé, physique et spirituel, figurent différentes peintures d’Anne Laure Sacriste, dont deux reprennent les imposants dessins de Pierre Klossowski – les Barres parallèles (1976) et la Ré-
cupération de la plus-value (1981) – visibles dans Dépenses, le premier volet d’expositions de la Tra- 1 versée des inquiétudes. Telles des réminiscences, ces peintures fantômes opèrent un déplacement de sens et prennent place dans un espace où l’ordre et la rigidité peuvent ouvrir sur un monde baroque 2 sous-jacent. Le Soleil brille aussi la nuit est également le titre d’un livre dont Anne Laure Sacriste prépare l’édition, parallèlement à son intervention à Labanque. Dans le sillage d’Orion aveugle (2014), 3 ce nouveau livre est un voyage au bout de tous les possibles qui entourent l’installation in situ.
En explorant ainsi les limites du surgissement de l’image, Anne Laure Sacriste exhibe l’arrière-plan infini qui structure notre regard face à l’oeuvre. En étant confrontées à des matériaux qui lui sont hétérogènes, les peintures de l’artiste sortent du cadre strict de la toile. Dans le prolongement d’autres installations que l’artiste a réalisées récemment au Forum Hermès à Tokyo ( la Bataille de San Romano, 2016) 2, ou à la galerie de l’Étrave à Thonon ( Une vision première essayée dans la fleur, 2016) 3, les peintures présentes à Labanque sont accompagnées au sol de surfaces miroitantes. Le cuivre et le verre noir invitent le regard à s’immiscer là où s’ouvrent les interstices et font écho aux jeux de reflets des peintures iridescentes. À l’image du geste pictural d’Anne Laure Sacriste, qui oeuvre plutôt par défaut que par excès, l’espace de méditation qu'elle compose pour Intériorités parvient à exposer ce qui a été soustrait à la vue, enrichissant ainsi une vision intérieure. Iris Bernadac