ROMINA DE NOVELLIS
Romina De Novellis est d’origine napolitaine. Elle connaît les recoins de sa ville et les rites qui en font le secret. Citons la performance La Sacra Famiglia (2015), une procession de plusieurs heures dans les rues de Naples, la veille de Noël, accompagnée de toute sa famille. L’artiste détourne, par la mise en scène de cette famille élargie, les rituels d’une société catholique dont elle dénonce les mécanismes d’inclusion et d’exclusion. Dans le cadre de nos discussions autour de Georges Bataille, une double intuition s’est imposée : entrer dans la nuit de l’Expérience intérieure, son labyrinthe « où le fil d’Ariane est cassé » 1, tout en réveillant un mythe littéraire et psychanalytique : la Gradiva2, figure pompéienne, napolitaine, par excellence.
Se promenant dans Pompéi, Romina De Novellis imagine une Gradiva contemporaine entre vie et mort. Cette performance, lente errance dans les ruines, aura lieu lors d’une nuit de pleine lune, du coucher du soleil à l’aube. L’artiste traînera, de ruelle en ruelle dépeuplées, son propre corps moulé et disposé sur un chariot, évoquant les corps capturés dans la lave, les chars allégoriques du carnaval, mais aussi la figure populaire de l’Arrotino, personnage du rémouleur qui, de village en village, propose ses services aux habitants. Mais dans ce voyage endeuillé, c’est au vide que cette Gradiva-Arrotino s’adresse : « La Gradiva est une âme silencieuse qui fait du bruit dans la nuit,
à travers les sons de son mégaphone et celui des roues de son chariot. C’est une présence mystérieuse dans une ville abandonnée, chargée des spectres d’une civilisation écrasée par le volcan et les forces de la nature. Gradiva crie combien elle pourrait être utile, et peut-être reste-t-elle porteuse d’espoir dans le vide. En cela, c’est une figure mystique, mais aussi une figure fellinienne touchant à la folie, à la vulnérabilité mentale et physique, visant à interroger aujourd’hui les relations humaines, foncièrement politiques, et ce que nous faisons, au présent, de notre passé », explique l’artiste. Il y aurait ici un cheminement interne et politique de perdition dans la nuit. Cette quête est celle d’une mise à nu périlleuse, mue par la volonté d’avancer malgré l’absence de projet, « en allant sans tricher à l’inconnu3 ». Georges Bataille n’a eu de cesse de clamer l’impossible et bouleversante tentative de communication poétique, qui pourtant est la seule chose qui lui reste. Il répondra à cette absence par la chute extatique. Romina De Novellis répond à sa manière par l’énergie repoussant les limites du corps. À ma connaissance, Bataille, pourtant grand lecteur de Freud, n’a pas écrit sur la Gradiva. Faisons le pari qu’il était proche de cette figure, que l’on retrouve en 1937 sous le pinceau de son grand ami André Masson dans une toile éponyme : y figure une puissante incarnation de la Gradiva, paupières closes, le corps se pétrifiant et le sexe, au centre, démesurément ouvert. Non loin de là, le volcan fulmine, nous ramenant à un autre volcan qui scellera encore un peu plus l’amitié de Masson et de Bataille à travers le récit que fait ce dernier de son ascension de l’Etna avec sa compagne Laure, en 1937, et que Masson peindra à son tour.