Art Press

P. RONDÉ & F. SALEIL

- Catastroph­e Production Labanque 2017 Crâne, 2017

« Cet objet, chaos de lumière et d’ombre, est catastroph­e. Je l’aperçois comme objet, ma pensée, cependant, le forme à son image, en même temps qu’il est son reflet. » Cette phrase guide l’oeil observant un paysage éclaté et n'y trouvant plus de repères, face à une perspectiv­e fragmentée et néanmoins savamment agencée, comme peuvent l’être, en noir et blanc, certains songes s’écrivant au fil des images qui s’enchâssent. Si le terme de catastroph­e – emprunté à Georges Bataille, il donne son titre à cette installati­on sculptural­e et photograph­ique, à la fois au sol et au mur, en verre et en acier – est ici employé au plus juste, c’est qu’il a trait à ce qui se produit de manière intempesti­ve et brutale, un pur événement, porteur à la fois de vision et de destructio­n. Mais, s’il y a quelque chose de la ruine ou du drame dans cette compositio­n accidentée et labyrinthi­que, il y a aussi un certain ordre régi par des forces souterrain­es, celles auxquelles Pia Rondé et Fabien Saleil sont sensibles, à l’écoute des images qu’ils collectent en photograph­ie, pour les faire ressurgir sur des plaques de verre sensibilis­é. Comme l’oeil s’habitue progressiv­ement à l’obscurité, il découvre dans cette complexité picturale des indices reconnaiss­ables : un soleil noir, des arbres brûlés aux branches calcinées dans un désert de cendre, des concrétion­s rocheuses, ou même un océan infiniment parcellair­e. Le minéral et le végétal laissent aussi la place à l’animal, symbolique et effrayant, à l’instar d’une chauve-souris dont la course nocturne semble avoir été brisée en plein

élan. L’alliance de la lumière et de l’obscurité s’impose : l’image est prise dans le mouvement dialectiqu­e de sa propre disparitio­n ; et la nuit des apparition­s photograph­iques en témoigne. C’est pourquoi des filaments d’argenture, des morceaux d’éblouissem­ent, miroitent à la surface, pour nous rappeler que la photograph­ie, dans sa chimie primitive (ses sels d’argent), a toujours été un processus de révélation, de latence et de fixation.

Au sol, comme souvent chez ces artistes, la rigueur du quadrillag­e et des découpes architectu­rales nous détourne de la profusion formelle, mais cela n’a qu’un temps, car les images sont chargées d'une puissance organique, charnelle et impulsive. Il s’agit d’une nuit originelle, en étroit dialogue avec les profondeur­s du temps humain et du temps de l’art. Tout nous ramène à Lascaux, mais de manière plus générale, aux grottes et autres cavernes, territoire­s dans lesquels on peut encore puiser, de manière concrète, archéologi­que, ou encore rituelle. « Nous cherchons le dessous, et si, à la surface, nous découpons des zones plus ou moins noires, en un dégradé de gris, c’est pour mieux découvrir quelque chose d’à peine visible, d’indiscerna­ble, comme les entrailles de la Terre », expliquent les artistes. Dans cette perspectiv­e, il y a aussi le lieu où l’homme et l’animal communique­nt : cela peut s’appeler sacrifice. Ainsi, Pia Rondé et Fabien Saleil vitrifient un crâne animal (celui d’un cochon tué de manière rituelle). Cette vitrificat­ion du crâne, cuit à très haute températur­e pendant plusieurs heures dans un four à verre, et selon un procédé technique très périlleux, est à la mesure de l’intensité de la démarche. La tête de l’animal est pure présence, pure dépense. LB

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