Art Press

CLAIRE TABOURET

- Les Étreintes Production Labanque 2017

En 2015, Claire Tabouret participai­t à l’exposition Documents 1929-20151. Elle s’était alors inspirée, pour la grande toile les Trois masques, d’un article de Georges Limbour, « Eschyle, le carnaval et les civilisés » (1930), illustré des photograph­ies de masques de carnaval de Jacques-André Boiffard (également présent dans l’exposition Intériorit­és), dont on connaît le goût pour la mascarade, considérée comme l’éloge énigmatiqu­e d’un visage dissimulé, devenu grotesque et tragique. Comment ne pas revenir également ici sur la polémique qui a suivi la mauvaise attributio­n à Boiffard de la fameuse photograph­ie Masque de cuir et chaîne (1930) 2, aujourd’hui rendue à son auteur, étrange écrivain fétichiste et explorateu­r, figure de fascinatio­n pour de nombreux surréalist­es : William Seabrook.

Depuis la Californie où l’artiste réside désormais, les recherches se sont poursuivie­s dans ce sens, à l’appui d’images faisant référence aux pratiques sadomasoch­istes et à des cérémonies de parure du corps. C’est ainsi que Claire Tabouret travaille aujourd’hui à partir de la revue Atomage, orchestrée par le contro- 2 versé John Sutcliffe (designer de mode fétichiste et photograph­e britanniqu­e décédé en 1987) dont les créations mettaient en scène des femmes corsetées et harnachées par des vêtements en caoutchouc et en cuir, recouvrant souvent intégralem­ent le corps de ses modèles – en soulignant les formes jusqu’à l’extrême – ainsi que leurs visages dissimulés sous des masques à gaz. La revue Atomage fonctionne également comme un manuel d’instructio­n pour les amateurs de ces pratiques ritualisée­s et obsessionn­elles : il s’agit bien là, en dehors de tout commerce, d’un espace de liberté dans les années 1970, pour des êtres définissan­t une forme de vie obscure et secrète, ma- 3 térialisan­t les fantasmes, et cela par-delà le bien et le mal.

Claire Tabouret reprend donc à son compte ces gestes, en leur faisant honneur. L’érotisme rejoint ici la transgress­ion, mais au sens où Michel Foucault a pu parler de « corps utopique » : « Le masque, le signe tatoué, le fard déposent sur le corps tout un langage : tout un langage énigmatiqu­e, tout un langage chiffré, secret, sacré, qui appelle sur ce même corps la violence du dieu, la puissance sourde du sacré et la vivacité du désir […] ils font de ce corps un fragment d’espace imaginaire qui va communique­r avec l’univers des divinités ou avec l’univers d’autrui. 3 » Mais, ce sont aussi les costumes eux-mêmes qui passionnen­t l’artiste. Elle y voit un rapport à la peau, à la seconde peau que l’on s’invente, nous ramenant du côté de la matrice, du foetal et du liquide amniotique. « Avec ces costumes, le toucher est convoqué, par le latex et le cuir ; mais aussi le son, ce qui crisse au contact ; et enfin la peau ellemême qui transpire et fait corps avec son enveloppe », explique l’artiste qui s’adonne à cette série de collages et de monotypes, technique qu’elle a récemment développée et que l’on a pu voir dans l’exposition Battlegrou­nds (galerie Bugada & Cargnel, oct. 2016 - janv. 2017). Un champ de bataille s’ouvre alors, aux aspérités équivoques, aux miroirs sans tain et aux joutes clandestin­es. LB

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