JÉRÔME ZONDER
Depuis 2000, Jérôme Zonder est à la recherche de Garance, un personnage qui a l’âge du 21e siècle. Elle est un prisme qui lui permet de traverser les violences du temps passé et du monde contemporain, en revisitant la représentation de la femme dans l’histoire de l’art. Garance est en perpétuel devenir, telle une ligne de fuite, d’intensité, une ligne se questionnant comme telle. Le fond et la forme sont on ne peut plus indissociables puisque c’est en dessinant et en poursuivant le trait – qu’il soit précis, documentaire ; qu’il prenne au contraire l’aspect indiscernable de l’empreinte ou de la pure ligne libre – que la nature et la voix du personnage se font entendre. L’artiste poursuit Garance, qu’il appelle « la jeune-fille », jusque dans sa dernière exposition Garance dernier volet (galerie Eva Hober, Paris, 2017). On peut établir ici un parallèle avec la postface aux Lois de l’hos
pitalité1 de Pierre Klossowski. Dans ce texte, Klossoswski tente de décrire son obsession pour un personnage, Roberte, et les infinies variations qu’il en fait – dans les jeux de miroir de l’écriture tout comme dans son oeuvre dessinée – comme s’il n’arrivait pas à l’épuiser. Ainsi parle-t-il de la « persistance d’un nom », du « prestige du signe » et d’un « nom en tant que signe ». Faisons l’hypothèse que Garance serait pour Zonder, dans le sillage de Klossowski, un « signe unique », une entité capable d’énoncer un monde (intime, politique) sans passer par la représentation illustrative. En d’autres termes, elle serait un indice englobant, une forme de concept.
Pour l’exposition Intériorités, nous présentons un portrait de Garance, le deuxième, datant de 2016. Ce dessin très imposant, de près de deux mètres de hauteur, est un gros plan sur le visage d’une femme dissimulant ses traits derrière ses mains. Le regard nous manque. Le portrait n’en est pas un et pourtant il l’est supérieurement, car nous n’avons pas besoin de reconnaître le visage pour le percevoir. Geste de repli, supplication, dérobade, jeu de cache-cache ? Un monde s’ouvre derrière les mains en ogive. Et Klossowski de poursuivre : « Le signe devait-il être tenu pour un portrait ? N’était-il pas le modèle, puisqu’elle était devenue ce signe ? À quoi donc visait son silence ? À se comporter non plus comme le modèle, mais comme le portrait même. » Nous entrons là au coeur de la complexité : le modèle n’existe plus. Comme si ce geste du montré-caché était aussi un moyen de nous dire que le portrait est un infini jeu de mise en abîme, pris dans une dialectique de l’intérieur et de l’extérieur, sacrifiant la représentation dans une quête d’incarnation. Jérôme Zonder, avec ce portrait de Garance, acceptant de s’y soumettre, fait de chaque coup de crayon le lieu visible d’une invisibilité, que l’on observe la texture de l’épiderme, celle des rides des mains ; ou encore l’épaisseur des sourcils, de la chevelure, cheveu après cheveu. Le regard dérobé regarde le rien. C’est une manière d’aller audelà du portrait en partant de lui, de dépasser le principe d’identification mimétique pour se jeter dans un corps ouvert, fragmenté, diffracté. LB