Colson Whitehead
Underground Railroad Albin Michel, 416 p., 22,90 euros
« I’ll sail de world clar roun an roun / All by the railroad under groun » (« Je voyage de par le vaste monde, grâce au réseau clandestin »), chante en 1840 l’artiste blanc grimé Dan Emmett, blackface minstrel d’un théâtre populaire de New York City. L’underground railroad – réseau de passeurs clandestins, actif depuis les années 1820, qui aide les esclaves à fuir le Sud esclavagiste des États-Unis pour rejoindre le Nord abolitionniste – est au coeur du sixième roman du jeune prodige américain, Colson Whitehead. Dans sa fable politique, fresque historique, fiction violente, réaliste et hallucinatoire, une jeune esclave, Cora, âgée de seize ans, tente de survivre dans l’enfer d’une plantation de coton en Géorgie. Elle s’évade avec l’aide de Caesar, poursuivie par le sadique Ridgeway, incarnation du mal et de la suprématie blanche. Une lutte sans merci commence entre le chasseur et ses proies. L’originalité du roman est d’imaginer un véritable réseau de chemins de fer souterrain, labyrinthe de galeries et de tunnels, qui relie les territoires des États-Unis, de la servitude vers la liberté. Épopée allégorique, entre l’Odyssée d’Homère et les Voyages de Gulliver de Jonathan Swift, Underground Railroad est un chef-d’oeuvre poignant et engagé, salué par Barack Obama. Le romanréquisitoire de Whitehead fait revivre l’époque de l’esclavage, dénonce le racisme, la barbarie et l’inhumanité et démonte les mécanismes de la ségrégation. Des racines historiques jusqu’à l’époque actuelle, le lien est immédiat, et le regard brutal sur la réalité se fait sans concessions. Seul, avant Underground Railroad, un autre roman avait déjà reçu la double récompense du National Book Award et du prix Pulitzer de littérature, c’était Parabole de William Faulkner, en 1955.