Pierre Alferi
Parler P.O.L, 192 p., 14 euros
Dans l’un de ses contes, Charles Perrault évoque le don accordé par une fée à deux soeurs. Chaque parole se change pour l’une en une fleur ou une pierre précieuse, mais pour l’autre en un serpent ou un crapaud. Pierre Alferi n’a aucune réticence à se frotter à la délicatesse et à la brutalité, l’agrément et l’incongruité de la parole, et ne cherche pas à faire le tri entre les conséquences des différentes options. Il prend tout et ne tergiverse pas à tout mettre dans le même sac. Mais qu’en est-il de ce sac ? Il n’est pas facile à circonscrire. D’abord parce que c’est une chose active qui a du mal à tenir en place. Ensuite parce que cette agitation est avant tout parlante et ainsi appelée à se contorsionner, se dépasser, se déchirer et se recommencer. Parler procède de cette effervescence plurielle de la parole où fulgurance et quotidienneté s’empoignent continûment pour maintenir entière la vigueur de leur attelage. Ce livre se compose de trois pièces de théâtre commandées et créées par Fanny de Chaillé. Répète est un face-à-face entre une chorégraphe et un poète où chacun souhaite empiéter sur le domaine de l’autre. Ils se renvoient la balle et tentent de la loger dans les endroits où elle n’est pas attendue. Coloc est une communication entre deux hommes par l’intermédiaire d’un écran. Chaque fois que le son est coupé, une application permet de lire sur les lèvres et d’assurer la transcription. Mais le résultat n’est pas garanti et souvent les mots échappent à leur signification, partent en vrille et se perdent dans un vertigineux horschamp. Dans les Grands, l’enfance, l’adolescence et l’âge adulte se heurtent, se mesurent, se contredisent, se remplacent et produisent un dialogue qui, sans choisir entre le trop léger et le trop lourd, reste, non sans drôlerie, au milieu du gué.