Fabrice Hyber.
OEuvres publiques
Fabrice Hyber est lauréat du 1% artistique de la nouvelle École des beaux-arts de Nantes. Il envisage la création de deux oeuvres monumentales, l’une installée à Nantes, l’autre à Marfa, antenne de l’École au Texas.
Pour Fabrice Hyber, qui a fréquenté les bancs de l’École des beaux-arts de Nantes, l’art est le moyen le plus immédiat d’augmenter l’éventail des possibilités d’intervention sur la forme et les comportements, en croisant non seulement les techniques, mais les références et les disciplines, les champs de compétences, avec, chaque fois, le désir de se saisir de l’exception qui confirme la règle. Les imaginaires convoqués sont multiples : le confort et la manipulation génétique, le futur de l’espèce et l’adaptation, les migrations et l’économie
mondialisée, les ressources énergétiques ou l’immortalité, croisant joyeusement des domaines de savoir rarement associés, avec une probabilité d’erreur assumée qui devient subitement productive quand elle passe d’un champ disciplinaire à un autre, plus inattendu. Fabrice Hyber saisit à bras le corps le potentiel créatif de ces « associations » croisées. Sa recherche part clairement de l’expérience humaine mais sous sa forme la plus accidentelle ; elle suit en cela une logique inductive. Hyber, en scientifique défroqué, défait le réel pour mieux le reconstruire ; il démonte la mécanique des choses et la physique des événements, il transforme ce geste en une démonstration, si possible performative. Les deux propositions d’oeuvres publiques pour les nouveaux espaces de l’École des beaux-arts de Nantes rejoignent ce projet général d’intégration et de détournement.
NANTES : LA MAISON DES POFS
À Nantes, au coeur d’une reconversion d’un bâtiment industriel qui accueillait l’activité des anciens chantiers de construction, Hyber propose un vaisseau amiral, à la fois véhicule et habitacle. Ce véhicule aérodynamique aux formes isotropes, brassant haut et bas, dessus et dessous, est la métaphore visuelle d’une appréhension non orientée des choses, invitant le visiteur à repenser les usages fonctionnels attribués aux objets. Habitacle, aussi, car la sculpture sera un lieu de ressource où l’on pourra expérimenter des POF – acronyme désignant les « Prototypes d’Objet en Fonctionnement », que Fabrice Hyber conçoit comme des prétextes à déplacer la fonction contemplative de l’art vers des approches plus comportementales. Plus exactement, elle sera la maison des POF : un conservatoire et un laboratoire à la fois. Sa structure portante circulaire est conçue à partir de l’Escalier sans fin (POF, n°100), l’ensemble de sa configuration, intérieure et extérieure, déduit des différentes applications des POF (environ 160 à ce jour). Le visiteur de cette maison sera l’acteur de sa propre adaptation au milieu ambiant, à travers l’expérience empirique et ludique, souvent instable et non définie, d’une cabine à fonctions ouvertes et multiples : un cockpit de test sur le réel et ses multiples améliorations possibles, au-delà des systèmes de relations calibrés par avance.
MARFA: LA FONTAINE EXTRA-TERRESTRE
Nomen omen, le nom est un présage. Le nom HYBER ( que l’artiste a adopté en 2005, en faisant chuter le « T » final de son patronyme : HYBERT sans T/HYBER Santé) est un patronyme hyperbolique qui signe la résistance que l’art peut opposer à toutes les formes de résignation. Pour l’antenne texane des beaux-arts de Nantes à Marfa, dans un décor de farwest au coeur des grandes étendues américaines, l’artiste a fait le choix d’une architecture iconique qui détonne dans le paysage local. Non pas un vaisseau suspendu mais une fontaine hors échelle qui dominera le terrain d’implantation de la nouvelle école. Cette fontaine adopte la silhouette anthropomorphe d’un géant vert – reprise, à l’échelle monumentale, du projet de l’Homme de Bessines – une sculpture installée sur le réseau d'eau d'une petite commune de la région poitevine, crachant de l'eau à travers tous les orifices du corps (yeux, bouche, sexe). Pour Marfa, l’artiste a décidé de lui donner une toute autre échelle (plusieurs mètres, rivalisant avec le fameux château d’eau qui domine la ville). Le géant sera réalisé à l’aide d’un ciment spécial, récemment breveté, qui absorbera les éléments du sol local (sable, terre usagée, détritus accumulés), dans un recyclage qui est en soi une forme de réponse à la nouvelle donne de l’anthropocène : rien ne se perd, tout se transforme. Le géant sera ensuite peint de couleur verte – la marque de fabrique de l’artiste, emblème d’une « écologie mentale » – pour revêtir une forme extra-terrestre qui trouve une résonance toute particulière dans une cité, toute proche du site historique de Roswell, haut-lieu de la hantise de l’invasion martienne en pleine guerre froide. Mais loin d’annoncer une invasion menaçante, ce monument va disperser, en brumisateur, de l’eau dans un périmètre rapproché et créer ainsi un oasis dans le désert, intégrant flore et faune nouvelles dans un biotope ouvert à tous les contacts interlopes entre espèces et espaces. Par ce geste iconoclaste, Hyber pointe non seulement les conséquences du tournant « non-humain » (la fin d’un monde anthropocentré) mais la solution empirique (la fontaine sera aussi réservoir) à une autonomie des ressources dans l’invention autogérée du paysage. Pascal Rousseau est professeur d’histoire de l’art contemporain à l’université Paris I Panthéon-Sorbonne, spécialiste des avant-gardes historiques et des débuts de l’abstraction, des liens entre imaginaires, sciences et technologies dans la culture contemporaine (20-21e siècles).