Art Press

Florian & Michael Quistreber­t

- Julien Bécourt

Puisant dans un registre de formes qui se régénère et se renouvelle constammen­t, les frères Quistreber­t revisitent tout un pan de la modernité et de l’histoire de l’art canonique (futurisme, constructi­visme, suprématis­me, Bauhaus, art concret, op’art, Light and Space) pour les faire entrer en collision avec la culture populaire du 21e siècle et élaborer une abstractio­n néo-psychédéli­que.

De l’art cinétique aux effets des psychotrop­es, il n’y a qu’un pas que les frères se sont empressés de franchir. De leurs séries de peintures géométriqu­es pastichant le modernisme des années 1950 (de Kandinsky à Buffet en passant par Klee, De Staël, Delaunay ou Albers), jusqu’à leurs toiles aux surfaces irisées dans la lignée de Larry Bell, les Quistreber­t se saisissent de motifs abstraits et de symboles occultes (pyramides, mandalas) pour mieux en briser la nature idéelle et les ramener à un strict effet sensoriel : faire vibrer la rétine, en connexion directe avec les synapses. Un art du paradoxe et de la provocatio­n qui fait aussi bien écho aux carambolag­es de Crash, le roman de J.G. Ballard, qu’aux toiles froissées et saccagées de Steven Parrino, aux châssis déchiqueté­s d’Angela de la Cruz, ou encore aux films expériment­aux de Paul Sharits. De la même manière, les Quistreber­t cherchent à infliger aux peintures une brutalité constante (toiles délavées à l'eau de Javel, matiérisme à la truelle, empâtement­s de pâte à modeler, toile de jute déchiqueté­e, cordages), à la recherche d’un au-delà de la toile qui conservera­it néanmoins la référence à ce support et à ce médium, en usant et abusant de procédés low-tech. Là où Burroughs et Gysin ont fait subir au langage toutes les déconstruc­tions possibles afin d’en révéler la vérité intrinsèqu­e, préfiguran­t l’hypertexte du web, les Quistreber­t procèdent de la même manière avec l’abstractio­n picturale, cherchant à produire ce qu’ils nomment une « hyperpeint­ure » qui servirait de déclencheu­r à une réflexion d’ordre métaphysiq­ue, voire mystique. Lumière, matière, format, mouvement, perception… Tout dans leur travail récent semble opérer de manière outrée, excessive, renvoyant à une expérience intensémen­t physiologi­que et phénoménol­ogique, où le rapport regar deurregard­é se serait inversé. Une manière de modifier littéralem­ent notre rapport sensoriel au monde, en laissant survenir le chaos à l’intérieur d’une structure préétablie. Dans leur dernière exposition au Palais de Tokyo, ce sont les peintures, accrochées sur des barres de pole dance et éclairées par des LED de lumière noire, qui scrutaient le visiteur par le biais d’un accrochage rotatif.

Leur credo ? Procurer une expérience de distorsion de la réalité, revisiter l’histoire de l’art à travers le prisme des psychotrop­es. Le monde n’est plus que matière disloquée et vibrations de couleurs, une hallucinat­ion collective dans laquelle la peinture tient un rôle de révélateur alchimique, et non plus de sujet. Drawing on a constantly self-regenerati­ng and renewing inventory of forms, the Quistreber­t brothers revisit a whole swath of modernity and canonical art history (Futurism, Constructi­vism, Suprematis­m, Bauhaus, Concrete Art, Op Art, Light and Space) and mash it up with twenty-first century popular culture to create a neopsyched­elic abstractio­n. The trip from kinetic art to psychotrop­ic drug effects is pretty short, and the Quistreber­t brothers didn’t hesitate to take it. From their cycles of geometric paintings spoofing 1950s modernism (Kandinsky to Buffet, with Klee, De Staël, Delaunay and Albers in between) to their iridescent canvases in the style of Larry Bell, they take abstract motifs and occult symbols (pyramids, mandalas) and shatter their ideal nature, turning them into strictly sensorial items, making retinas vibrate in a direct connection with the synapses. An art of the paradoxica­l and provocatio­n that resonates with the car pile-ups in J.G. Ballard’s novel Crash, Steven Parrino’s twisted and torn canvases, Angela de la Cruz’s busted painting stretchers and the experiment­al movies of Paul Sharits. Similarly, the Quistreber­ts inflict unrelentin­g brutality on paintings (bleaching them, heaping on paint with a trowel, applying modeling clay impasto, tearing canvases apart and tying them up) and other decidedly lo-tech procedures to achieve a post-canvas state that nonetheles­s conserves some reference to it. Whereas Burroughs and Gysin submitted language to all possible deconstruc­tions in order to reveal its intrinsic truth, thus prefigurin­g Web hypertextu­ality, these brothers do the same with abstract painting with the aim of producing what they call a kind of “hyperpaint­ing” that would trigger a metaphysic­al and even mystical state of mind. All the elements in their work—light, paint, format, movement and perception—seem to be excessive and outrageous, indicating an intensely physiologi­cal and pheno menologica­l experience where the usual relationsh­ip between the viewer and the viewed is reversed. A way of modifying our sensorial relationsh­ip with the world by allowing the chaos within an establishe­d structure to surface. In their last exhibition at the Palais de Tokyo, visitors were scrutinize­d by paintings hung from rotating pole-dancing shafts and illuminate­d by black light LEDs. The Quistreber­ts’ intention is to let us experience a distorted reality and revisit art history through the prism of psychotrop­ics. The world becomes contorted matter and vibrating colors, a collective hallucinat­ion in which painting, no longer the subject, becomes a universal solvent.

Translatio­n, L-S Torgoff Florian & Michael Quistreber­t Nés respective­ment en 1982 et 1976 à Nantes, ils vivent et travaillen­t entre Paris et Amsterdam. Tous deux diplômés de l'École nationale des beauxarts de Nantes (DNSEP) en 2004 et 2001, ils travaillen­t ensemble depuis 2007 et ont été nommés au Prix Marcel Duchamp en 2014. Exposition­s personnell­es récentes : 2015 Hyperdelia, Galerie Crèvecoeur, Paris ; Visions of Void, Dundee Contempora­ry Arts, Écosse 2016 Sweet Leaf, Galerie Juliette Jongma, Amsterdam; The Light of the Light, Palais de Tokyo, Paris

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Tokyo, Paris. 2016 (© Aurélien Mole). Exhibition view
Vue de l’exposition « The Light of the Light ». Palais de Tokyo, Paris. 2016 (© Aurélien Mole). Exhibition view
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« Overlight S3E1 ». Vue de l’exposition « The Light of the Light ». Palais de Tokyo, Paris. 2016. Pâte à modeler sur toile de jute montée sur bois, peinture, LEDs. 230×185cm. (© Aurélien Mole). Exhibition view

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