Damien Aubel
Possessions Inculte, 123 p., 15,90 euros
Après Dieu fait homme en la personne de Jésus-Christ, voici un homme devenu dieu. Après l’humble, le doux, le fragile, voici l’orgueilleux, le cruel, le cuirassé. Ce dieu jadis humain nous fait l’honneur de s’adresser à nous, « moins-qu’existants », dans un long monologue, pour nous raconter sa métamorphose, au sens ovidien du terme, puisqu’il est question ici de donner une forme au chaos. Le chaos ? Celui du monde tel que nous le connaissons, l’acceptons, le subissons. Ce narrateur divin, A.D., universitaire soumis au joug de l’apprentissage calibré et des échelons à gravir, fut l’étudiant de P.F., professeur halluciné, brutal, animé de l’ambition tyrannique d’extirper ses étudiants des brumes catatoniques de la satisfaction de soi. Muté dans la petite ville de M., sous-préfecture de province, A.D. s’est laissé séduire par L., sensuelle et sotte, gouvernée par le désir de procréer. Mais son essence divine, infiltrée, dormante, n’attendait que la pâle étincelle de la médiocrité pour se mettre à flamber. Refusant son « petit destin », l’homme devient dieu dans une explosion de violence. Dans une langue flamboyante, jouant cyniquement des symboles, Damien Aubel convoque, accuse et juge tous les clichés de l’air du temps : le bienpensant universitaire, le « mâle de province castré », l’intello vegan, le manuel de développement personnel prétendument philosophique. Le dieu lui-même, esprit mauvais glissant de corps en corps sans parvenir à formuler sa pensée autrement que dans le sang, le sperme ou les excréments, finira cerné de gribouillis, terrassé par ses ambitions. Cette relecture du sadisme et de la folie étrille avec délices, audace, intelligence le prêt-à-penser stérile de nos pompeux littérateurs et la crétinerie moutonnière de leurs émules.
Élise Lépine