Ben Lerner
La Haine de la poésie Allia, 96 p., 7 euros
D’abord ce titre : la Haine de la poésie. Il est provocateur, suppose des développements: « “Poésie”: quel genre d’art a pour présupposé le dégoût de son public et quel genre d’artiste se range du côté de ce dégoût, voire l’encourage ? Un art détesté du dehors comme du dedans. Quel genre d’art pose comme condition de son existence un mépris total ? » Ben Lerner dresse, en vérité, dans ce pamphlet brillant, le constat suivant : la poésie veut s’élever au-dessus de l’humanité, de la finitude, « pour atteindre la transcendance, le divin ». Mais il demeure que le chant de l’infini, d’une certaine manière, se heurte à ses limites propres qui sont, précisément, celles de l’humain. « Le poète est ainsi une figure tragique », explique-t-il, « un poème n’est jamais qu’un aveu d’échec ». En somme, un véritable conflit s’engage, « conflit insoluble » entre le désir du créateur et, comme le dit le poète Allen Grossman, cité par Lerner, « la résistance à l’altérité inhérente aux matériaux dont tout le monde est composé ». Au vrai, la représentation (le poème), échoue à traduire l’impulsion originelle du poète. C’est encore Grossman qui développe la notion de « poème virtuel » pour insister sur l’idée de potentiel abstrait ressenti par le poète lui-même « vis-à-vis de son mode d’expression dès lors qu’il est appelé à chanter ». Si le langage relève du champ social, la poésie est l’expression, par le langage, de notre irréductible individualité. Dans le mot « poésie », nous dit Lerner, s’affrontent l’intérieur et l’extérieur, le privé et le public : « Si la poésie ne m’intéresse pas ou que les poèmes me rebutent, soit je me retrouve en situation d’échec vis-à-vis de la société, soit c’est la société qui échoue à mon endroit. » Ce que pointe l’auteur ici, c’est l’enjeu de la poésie sur le plan social.
Vincent Roy