Véronique Bergen
Luchino Visconti. Les promesses du crépuscule
Les Impressions nouvelles, 224 p., 17 euros Qu’est-ce que raconter une vie ? Toute l’oeuvre de Véronique Bergen peut être considérée comme une réponse, louvoyante, tortueuse, inquiète et expérimentale, à cette question, la plus difficile de toutes celles que pose la littérature. Cette réponse, toutefois, part d’un postulat : à défaut de pouvoir s’affronter à la tâche de raconter n’importe quelle vie, qu’au moins on puisse raconter celles dont nous sommes les héritiers plus ou moins directs – les vies modernes. De roman en poème, d’essai en beau livre, Véronique Bergen n’a donc eu de cesse de raconter les vies des modernes, et ce que ces vies nous font lorsqu’ils ont disparu, et que ne restent d’eux que les souvenirs et les promesses en attente d’être tenues. Son dernier ouvrage, consacré à Luchino Visconti, le dit dès son sous-titre : ce sont les « promesses du crépuscule », celui du cinéma et d’une civilisation, d’un art de vivre et d’une existence vouée à l’achèvement, que Bergen y traque, en virtuose affamée. S’ouvrant sur une analyse du motif du « trop tard » dans la vie et l’oeuvre de Visconti, et se clôturant sur la promesse d’une adaptation de la Recherche du temps perdu que le cinéaste n’accomplira jamais, c’est un tombeau fantomatique qu’elle dessine. Dans ce tombeau, nombreux sont les spectres que l’on croise : de Gilles Deleuze à Fiodor Dostoïevski, de Pier Paolo Pasolini à Gottfried Wilhelm Leibniz, de William Shakespeare à Helmut Berger – nombreux, mais théoriques. Car le livre de Bergen n’est pas une biographie, ni un essai ; il tient plutôt de la radiographie, d’une manière de considérer une oeuvre et une vie au travers de ce qu’elle cache plutôt que de ce qu’elle donne, de ce qu’elle produit plutôt que de ce qu’elle articule. Comme pour tous ses autres ouvrages, l’exercice est aussi fascinant qu’amoureux.
Laurent de Sutter