Christian Phéline, Marc Donnadieu
Denis Roche. Les Nonpareilles Lamaindonne, 128 p., 33 euros
Que la photographie n’ait pas été pour Denis Roche la continuation de la littérature, et encore moins de la poésie, par d’autres moyens, voilà qui se pose comme une évidence dès la publication de ses premières images (presque toutes mauvaises, dira-t-il) dans Notre antéfixe en 1978. Non seulement parce que la photographie induit un rapport singulier au temps, à l’« ici et maintenant », qui est chaque fois une porte ouverte sur la mort, mais parce qu’elle constitue un monde formel autre, à l’intérieur duquel toutes les images se répondent en une infinie « photolalie ». Les photographies choisies pour les Nonpareilles donnent un aperçu de cette préoccupation pour la forme photographique, trop souvent recouverte par le lieu commun autobiographique. Ce qui saute aux yeux devant des images aussi puissantes que celle choisie en couverture de l’ouvrage, c’est la mémoire très longue dont la réédition de la Disparition des lucioles et du Boîtier de mélancolie a permis de prendre la mesure. Au bon vieux temps de l’argentique, le poète et photographe japonais Gôzô Yoshimasu se souvenait avec assez d’exactitude des images enregistrées sur sa pellicule pour pouvoir réaliser à plusieurs mois, voire plusieurs années d’intervalle des doubles expositions parfaitement conscientes. Ce n’est pas seulement des photographies antérieures que transporte Roche dans sa mémoire, mais toute la grammaire formelle inaugurée par des Hausmann, Rodtchenko, Man Ray. L’« ici et maintenant » que délimite la date et le lieu de la prise de vue est alors l’actualisation d’une possibilité formelle informée par l’histoire de la photographie. Contre-plongées, reflets, surimpressions, cadrages obliques ne déterminent pas tant chez Roche le récit d’une vie que celui d’un regard et d’une culture.
Laurent Perez