Marie Voignier
La Piste rouge Marcelle Alix/B42, 160 p., 16 euros
Lorsque l’artiste Marie Voignier accompagne en 2010 le cryptozoologue Michel Ballot, elle part à la recherche d’une créature mythique, le Mokélé-Mbembé, et revient avec un documentaire dressant en filigrane le portrait de croyances d’un autre espace-temps. La Piste rouge fait suite à ce premier contact avec une société reculée du sud-est du Cameroun. À travers un montage de témoignages et de documents, l’ouvrage synthétise mémoire coloniale, crainte de la nature et de la sorcellerie, et superstitions qui construisent des liens rituels et quotidiens avec le monde naturel, animal, humain et invisible. Elle réalise également un film, Tinselwood (2017), tourné selon un principe similaire : assemblage de témoignages recueillis et compilés en chapitres comme autant de rencontres successives: sorcier, ancien combattant ou vieil homme vivant en bordure de la seule route, une piste rouge. La préface de l’historienne Catherine Coquery-Vidrovitch décrit parfaitement l’effet de réalité provoqué par ces voix d’une déconcertante proximité alors qu’elles dessinent, au contraire, un paysage d’un estrangement radical, où les Allemands sont prétendus invulnérables aux balles et où le Soleil n’aime pas les Blancs (et les grille en conséquence). Ces voix racontent le passage des différentes missions (catholiques, protestantes), les mouvements de population liés au travail (ivoire et caoutchouc), la résistance, entrecoupées de discours et débats de députés français sur le travail forcé. Procédant à la manière d’un montage anachronique, Marie Voignier fait entrer en résonance les récits mémoriels et les archives historiques avec la modestie du passeur qui modèle de puissants espaces imaginaires, autonomes et complexes, par une forme en définitive extrêmement simple, le dialogue.
Magali Nachtergael