Art Press

Clément Cogitore

Le Bal / 15 septembre - 23 décembre 2017

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Deux voyages dans la Sibérie lointaine ont conduit Clément Cogitore à réaliser un projet qui a pris des formes successive­s, dont la plus aboutie est un film, sorti en salle le 1er novembre et diffusé sur Arte le 20 novembre. Une exposition au Bal, un livre qui l’accompagne et une création sonore pour France Culture sont autant de variations sur le même thème, portant chacune de fines nuances. En 2012, Clément Cogitore est parti à la recherche de Sacha Braguine, un homme âgé ayant quitté un groupe de Vieux Croyants dans les années 1970 afin de créer un village pour sa famille dans un territoire reculé. Quinze ans plus tard, la soeur de sa femme et le mari de celle-ci se sont installés là aussi. Les deux familles s’affrontent depuis dans une guerre larvée. Isolés presque totalement du monde contempora­in, ils semblent aujourd’hui attendre la fin de leur monde condamné par la société contempora­ine. Comme les fresques de Fellini Roma, découverte­s à la faveur d’un chantier pour la constructi­on du métro romain, qui sont dévorées par la lumière au fur et à mesure qu’elles apparaisse­nt sous les spots des projecteur­s, Clément Cogitore révèle l’existence d’un univers caché, où les animaux et la forêt sont respectés comme des membres d’une communauté, un monde qui disparaîtr­a probableme­nt dès qu’il sera complèteme­nt mis au jour. De ces expédition­s, il a rapporté quelques photograph­ies et des images vidéo d’une grâce surprenant­e, éclairées par des lumières contrastée­s qui rappellent la lueur de la bougie utilisée pour son film Bielutine dans un appartemen­t moscovite. Avec retenue, il capte les regards et les gestes, entre quelques rares paroles, à l’affût du moindre événement: des enfants des deux familles jouant séparément sur l’île d’une rivière, une chasse à l’ours, l’arrivée d’un hélicoptèr­e de braconnier­s venus de villages voisins à la conquête de ce territoire. L’exposition, dont la scénograph­ie aurait pu gagner en légèreté, montre un récit fragmenté en une série d’écrans à hauteur d’homme, posés sur le sol, dans une obscurité qui évoque la taïga. C’est un monde d’enfance et de pureté originelle fragile. Le parcours se termine par une scène clef: à la veille de son départ, Clément Cogitore a projeté les images du film devant les enfants médusés de découvrir le cinéma qui leur était inconnu jusquelà– ce passage est le seul qui pourra par la suite être montré comme une oeuvre à part entière. Cette conclusion qui apporte une note d’espoir au récit est bien plus sombre dans le film dont cette scène est absente, remplacée par le débarqueme­nt des étrangers et l’idée de la perte prochaine. Le film, plus que l’exposition, accompagne les personnage­s par la parole; le montage des images diffère largement de l’un à l’autre. Il est concentré sur la personne de Sacha Braguine, à la fois séduisant et ambigu. Comme le dit Clément Cogitore, l’exposition quant à elle est l’échec d’une utopie, l’histoire d’une guerre entre des hommes, vue par des regards d’enfants.

Anaël Pigeat

——— Two journeys to distant Siberia led Clément Cogitore to a project that went through several forms, the most complete of which was a film, released on November 1 and aired by Arte on the 20th. An exhibition at Le Bal with an accompanyi­ng book, plus a sound piece for France Culture radio all explore variations on the same theme, each with its own subtle nuances. In 2012 Cogitore went out looking for Sacha Braguine, a now elderly man who left a group of Old Belie- vers in the 1970s in order to create a village for his family in a distant territory. Fifteen years later, his wife’s sister joined them with her husband. Since then, the two families had been in a state of latent warfare. Almost totally isolated from the contempora­ry world, they now seem to be waiting for their world to end, doomed as it is by contempora­ry society. Like the frescoes in Fellini Roma, discovered during work on the Roman subway, which start to fade as soon as they are exposed to the klieg lights, Cogitore reveals the existence of a hidden world where the animals and the forest are respected as members of a community, a world that will no doubt also disappear as soon as it is exposed. He brought back from his expedition­s a handful of photograph­s and video images surprising in their grace, their strong chiaroscur­o recalling the candle lighting used for his film Bielutine, made in a Muscovite apartment. With great restraint, he captures gazes, gestures and the occasional world, straining to catch the slightest event: the children from the two families playing separately on an island in the river, a bear hunt, the arrival of a poachers’ helicopter from nearby villages, come to conquer the territory. The exhibition showed a narrative fragmented into a series of manheight screens standing on the floor, in a darkness like that of the taiga. It is a childhood world of fragile and primal purity.The sequence ends with a key scene: on the eve of his departure, Cogitore projected images of the film to the children, who were mesmerized by this kind of cinema they had never seen before. This passage is the only one that could later be shown as a work in its own right, independen­tly of the other video loops. This conclusion, which brings a note of hope to the story, is much darker in the film itself, which does not include this scene (instead, this shows the arrival of the strangers and the idea of imminent loss).The film, more than the exhibition, accompanie­s the characters verbally, and the editing of the images is very different: it concentrat­es on the figure of Sacha Braguine, who is at once seductive and ambiguous. As Cogitore says, this is a failure of utopia, the story of a war between men, seen through the eyes of children.

Translatio­n, C. Penwarden

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« Braguino ou la communauté impossible ». 2017. (© C. Cogitore).
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