Louise Sartor
Louise Sartor est peintre, elle a étudié successivement aux Arts décoratifs et aux Beaux-Arts de Paris. Dans son oeuvre à l’apparence nonchalante, négligée, comme en retrait, le désir, paradoxalement, domine. Dans le cadre de Voyage d’hiver, 10e exposition d’art contemporain au Château de Versailles, son oeuvre est exposée allée du Labyrinthe, jusqu’au 7 janvier 2018.
Dans les notes du programme de reprise du spectacle les Particules élémentaires à l’Odéon-Théâtre de l’Europe, le jeune metteur en scène Julien Gosselin prête au roman de Michel Houellebecq une « nonchalance clinique ». Il y analyse une écriture porteuse d’une sorte « d’indétermination qui produit des effets d’une beauté particulière, parce que c’est en même temps d’une extrême précision ». Précision, beauté, indétermination : des qualificatifs qui conviennent particulièrement lorsque l’on tente d’analyser les oeuvres, à l’apparence négligée, de Louise Sartor.
FRAGMENTS
À l’heure où de nombreux jeunes peintres convoquent les fantômes de l’image, comme s’ils se méfiaient de celle-ci, Louise Sartor prend le parti des images réalistes qui appartiennent au temps présent. Les motifs, jeunes femmes, animaux, fleurs, proviennent sans aucun mystère de banques d’images, de films et séries, de blogs de mode où ils sont prélevés avec une volonté précise. Ils montrent le sujet, presque toujours dans sa solitude, cadré avec concision et n’exhibent jamais l’incongruité d’un détail ou de l’anecdote, comme trop de peintres, sous l’influence de David Lynch, le font aujourd’hui. Les couleurs, quoique prononcées, sont un peu voilées, comme si les oeuvres avaient été arrachées sur une fresque murale délavée par la pluie. Elles ont un aspect terreux qui est la conséquence de l’absorption des couleurs de la gouache, parfois de l’huile, occasionnellement de l’acrylique, déposées sur des supports non préparés et donc absorbants. Les oeuvres sont peintes sur des fragments quelconques, sans les châssis traditionnels utilisés en peinture : morceaux de papier, boîtes à oeufs, planches à découper, et même paires de chaussures. Quoi qu’il en soit, elles sont toujours de tout petit format, ce qui oblige le regardeur à s’approcher pour pénétrer l’intimité des scènes, observer les détails ou encore repérer les accidents picturaux, comme on le ferait pour une miniature, ou peut-être plus encore comme le ferait un voyeur.
NIHILISME POP
Une jeune fille déjeune et porte, de la main droite, deux baguettes à la bouche sans qu’on ne voie autre chose de son visage (Phó, 2016). Une autre, assise, patiente, est vêtue d’une robe beige à carreaux qui ne laisse visibles que ses mains jointes et ses genoux ( Time, 2016). Une troisième, le dos tourné, portant robe courte à motifs rouges et bottines blanches, s’apprête manifestement à monter dans une voiture ( Out & about #3, 2016). Une quatrième, blonde aux lèvres charnues, en tee-shirt rose moulant, s’en extirpe, laissant son reflet coloré s’étendre sur la carrosserie ( RADARTE, 2015). Une cinquième, la bouche entrouverte, blonde également, vêtue d’un pull bleu, converse
au téléphone ( Allo, 2017). La dramaturgie réaliste des actions toujours très simples, quotidiennes, voire banales, l’absence de regard, les visages, en partie ou totalement, absents, tout contribue à l’indétermination. Ce sont des sortes de banalités contemporaines, comme on les trouve en littérature chez Michel Houellebecq, au cinéma chez Sofia Coppola ou en musique avec le duo Easter et chez Sébastien Tellier. Un courant actuel que l’on pourrait qualifier de nihilisme pop. Un désenchantement étudié qui se manifeste par une forme de nonchalance, voire de retrait, mais qui n’exclut pas la tyrannie du désir. Louise Sartor s’exprime peu sur son travail, elle évite les entretiens et les rencontres critiques, comme si tout cela la concernait peu. Elle répond aux mails ou aux appels avec la plus grande courtoisie, mais le plus brièvement possible, dans un style télégraphique qui occulte sa personnalité. Cette discrétion, qui n’est pas une coquetterie mais une volonté sincère d’écart, se manifeste dans les formats, les supports, mais aussi dans l’absence d’encadrement. Les peintures sont laissées à l’air libre, sans protection. Mieux encore, certaines sont recouvertes d’un fragment de verre brisé qui ne s’étend que sur une partie de l’oeuvre. Comme si un enfant, après avoir fait chuter le cadre, s’était contenté de le raccrocher au mur dans l’espoir de dissimuler son forfait. Quant aux chaussures qui portent chacune une minuscule peinture sur le devant, elles contiennent encore les chaussettes et reposent tout simplement au sol au niveau de la plinthe. Cette apparente indifférence aux conditions de monstration, de support, de réception, à laquelle s’ajoute une volonté de peindre de jolies jeunes femmes dans des saynètes réalistes, donne une beauté particulière au quotidien, une beauté non autoritaire que l’on peut qualifier d’insolente. Insolente au sens où, loin du spectaculaire qui semble ca- ractériser une large partie de l’art contemporain, et encore plus loin d’un art qui s’attelle à prendre en charge les aléas du politique où les lacunes de l’histoire, la nonchalance picturale de Louise Sartor produit un art qui se moque des diktats du moment. Un art que l’on a un peu oublié, qui a moins de visibilité aujourd’hui, mais qui, par le passé, a été pris en charge par de nombreux artistes, celui du désir érotique, masculin ou féminin, peu importe. Chez Louise Sartor, les femmes sont belles, et chacune des oeuvres pourrait se trouver dans votre portefeuille ou dans votre poche, roulée ou pliée, disponible au regard au moment où vous le souhaiteriez… Et pourtant, de par l’incongruité et la fragilité de leur support, elles vous échapperont toujours.
Alain Berland est programmateur pour les arts visuels au Collège des Bernardins, Paris, depuis 2010, où il a été commissaire de l’exposition collective Des hommes, des mondes en 2014. Il est également commissaire pour les arts visuels au Théâtre Nanterre-Amandiers.
Painter Louise Sartor studied at the Paris decorative arts and fine arts schools. Although her work appears to be offhand and nonchalant, as if she kept herself at a certain distance from it, paradoxically its dominant theme is desire. As part of Voyage d’hiver, the tenth contemporary art exhibition at the Château de Versailles, her work is on view at the Allée du Labyrinthe through January 7, 2018.
In the program notes for the revival of the stage adaptation of Michel Houellebecq’s novel Les Particules élémentaires at the Odéon theater in Paris, the young director Julien Gosselin refers to the author’s “clinical nonchalance” in this book, a kind of stylistic “indeterminacy that produces a particular kind of beauty, because at the same time it is extremely precise.” Precision, beauty, indeterminacy: these terms are particularly appropriate when seeking to analyze the apparently offhand work of Louise Sartor.
FRAGMENTS
At a time when many young painters summon the phantoms of the image, as if they just didn’t trust it, Sartor opts for realistic images that belong to the present. Her subjects, such as young women, animals and flowers, are unmysteriously borrowed from image banks,TV programs and fashion blogs from which they are selected with precise intentions. They are almost always alone and concisely framed. Unlike too many painters today under the influence of David Lynch, there are never any incongruous details or anecdotal references.
The colors are pronounced but slightly veiled, as if her paintings had been taken from a rain-worn fresco. They have a muddy quality, the result of gouache, sometimes oil and occasionally acrylic seeping into non-prepared and therefore absorbent surfaces. She paints on fragments of all kinds of materials, without the traditional stretchers: pieces of paper, egg cartons, chopping boards and even pairs of sneakers. Whatever the medium, her paintings are always very small, forcing viewers to come closer in order to enter the private scenes they depict, observe the details and even spot painting accidents, as you would do in looking at a miniature, or maybe more accurately, as a voyeur would do.
POP NIHILISM
A young woman is having lunch. She brings two chopsticks to her mouth with her right hand. All we can see of her face is her mouth ( Pho, 2016). Another woman sits and waits. She’s wearing a beige big-check dress. All we can see is her hands folded together in her lap and her knees ( Time, 2016). A third woman, her back turned to us, wearing a short, red-patterned skirt and white ankle boots, is obviously about to get in a car ( Out
& about #3, 2016). A fourth, blonde, with fleshy lips, wearing a tight pink t-shirt, is getting out of a vehicle, leaving her colored reflection spreading across the car body ( RADARTE, 2015). A fifth, also a blonde, wearing a blue pullover, her mouth wide open, is talking on the phone ( Allo, 2017). The realistic staging of always very simple, everyday and even banal actions, the absent expressions and faces partially or totally absent as well, all contribute to the indeterminacy. These are very contemporary banalities of the kind found in Houellebecq’s novels, Sofia Coppola’s movies and the music of Easter and Sébastien Tellier. A thing today that could be called pop nihilism. A studied disenchantment manifested by a kind of nonchalance, even distancing, without excluding the tyranny of desire.
Sartor doesn’t talk much about her work. She avoids interviews and meetings with critics, as if she didn’t care about all that. She responds to emails and phone calls very courteously but as briefly as possible, in a telegraphic style that reveals little about her personality. This absence, which is not coquettish but reflects a sincere wish to remain at a distance, also manifests itself in the formats and media she uses, and the lack of frames for her work. The paintings are just left in the open air, with no protection. Better yet, some are covered with a shard of broken glass extending over a small portion of the surface. As if a child dropped the picture frame and then hung it back up on the wall hoping that no one would notice the difference. The sneakers adorned with miniature paintings still have socks in them and are simply left on the floor by the baseboard. This apparent indifference to the conditions of her work’s display, its reception and even the media she uses, along with her clear preference for painting pretty young women in realistic scenarios, gives her art a particular kind of quotidian beauty, a non-authoritarian beauty that could be called insolent. Cheeky in the sense that, in contrast to the spectacularity that seems to characterize so much of contemporary art, and even more so art that seeks to take on the burden of the politics du
jour or the lacunae of history, Sartor’s painterly nonchalance produces an art that thumbs its nose at the day’s diktats. An art that has been all but forgotten, one not so often seen today, but which in the past was taken up by many artists, an art of erotic desire, regardless of its gender. In Sartor’s work, the women are pretty, and her pieces are small enough to fit into your pocket or wallet, rolled up or folded, available to look at whenever you want.Yet, because of the incongruity and fragility of the surfaces they’re painted on, they will always escape your possession.
Alain Berland has been visual arts programmer at the Collège des Bernardins, Paris, since 2010. He is also curator for visual arts at the Théâtre NanterreAmandiers.
Louise Sartor Née en / born 1988 à / in Paris, Vit et travaille à / lives in Paris Exposition personnelle / solo show: 2017 Galerie Crèvecoeur, Paris Expositions collectives / group shows: 2016 Paris Internationale, Paris 18e prix fondation d’entreprise Ricard, Paris The Old Things, Crèvecoeur, Paris 2017 Voyage d’hiver, Château de Versailles François Ghebaly Gallery et Bel Ami, Los Angeles Château de Villeneuve-Lembron Musée des beaux-arts, Dole