Art et littérature : interférences ; Patti Smith Just Kids revisited
Pascal Mougin (dir.) La Tentation littéraire de l’art contemporain Les Presses du réel, « Figures », 312 p., 24 euros
À la rentrée 2017, le Centre Pompidou lançait l’événement Extra !, le premier festival consacré aux « littératures hors du livre ». Il annonçait par la même occasion la création du prix Bernard Heidsieck (1928-2014), empruntant son nom au pionnier de la poésie sonore qui voulait que « le texte se présente comme une chose vivante et immédiate ». L’inscription institutionnelle d’une telle manifestation a permis de confirmer une tendance déjà évidente : la convergence entre littérature et art contemporain. Collaborations entre artistes et écrivains, artistes-auteurs, écrivains-plasticiens, lectures performées, textes vus, littérature improvisée : les configurations sont nombreuses. Il ne manquait qu’un ouvrage scientifique de référence permettant de clarifier et de penser les origines de ce phénomène autant que ses implications théoriques. C’est désormais chose faite avec la publication de la Tentation littéraire de l’art contemporain, ouvrage collectif dirigé par Pascal Mougin. Depuis les années 1960, nous assistons à un mouvement de « dé-définition de l’art », pour reprendre les termes du critiques Harold Rosenberg, ayant pour effet de déconstruire la différenciation entre les pratiques esthétiques. La littérature reste quant à elle bien plus marquée par une tendance essentialiste ; si dé-définition il y a, celle-ci est encore marginale et doit beaucoup aux artistes qui s’emparent de l’écriture. Dans son introduction, Pascal Mougin rend compte de cette histoire et en donne une vision extrêmement claire sans pour autant passer sous silence son évidente complexité. Ainsi, l’aspect protéiforme de l’écriture développée par les artistes, des tentatives de désécriture aux textes plus classiquement romanesques, rend ardu tout travail de définition. La qualité de l’ouvrage tient au parti-pris porté par ses auteurs : il ne s’agit aucunement de recenser les occurrences de cette rencontre entre texte et travail plastique, mais bien de la penser. La question est de savoir comment l’art trouble aujourd’hui la reconnaissance du fait littéraire et lui permet par là même de se réinventer. Organisée en cinq sections, la Tentation littéraire de l’art contemporain mêle approche historique et pensée du contemporain en faisant place à une diversité de pratiques qui, sans dénier l’importance du livre, pense aussi le cinéma et le geste curatorial.
Le point de vue adopté privilégie explicitement l’approche plasticienne, préférant faire place aux artistes qui utilisent le langage plutôt qu’aux écrivains qui, de plus en plus nombreux, développent dans le champ des arts plastiques des formes d’écriture inédites. Espérons qu’une telle question, la tentation artistique de la littérature, puisse faire l’objet d’un second tome et constituer le pendant nécessaire à cette première exploration. Si l’objet n’est pas de rendre compte ici de la totalité de l’ouvrage, nous pouvons néanmoins retenir le texte passionnant de Jean-Pierre Salgas consacré à l’oeuvre d’Édouard Levé, « artiste autrement », dont la destinée est ici rapprochée de celle de Duchamp, ainsi que l’article final de l’ouvrage signé par Magali Nachtergael. Ce dernier, intitulé « Le devenirimage de la littérature : peut-on parler de “néolittérature” », s’intéresse au double bouleversement de la littérature dû à l’avènement du numérique autant qu’à l’influence de l’art conceptuel. En fondant le terme de « néo-littérature », Magali Nachtergael offre de nouveaux outils conceptuels. Le préfixe « néo », longuement pensé, ne suppose pas un dépassement de la littérature par l’art, mais un déplacement heureux et plein de possibles.