De l’art sous les feuilles

Il est le socle de leur liberté créative ! Imaginé à quatre mains avec des idées plein la tête, un couple de plasticiens nous ouvre les portes de leur jardin-galerie en plein coeur du bocage normand. Voici un îlot de tranquillité verdoyant aux subtils jeu

Dès l ’ ent rée, le ton est donné : dans l e sas ombragé muré de bambous, un petit banc invite le promeneur à s’asseoir, à se blottir, à écouter, à regarder, à réveiller ses sens en douceur pour mieux se délester du monde extérieur. Devant lui, le premier tableau est hypnotique : dans cet espace fermé, une coulée vert émeraude, perlée de lentilles d’eau, suit les courbes d’un chemin brut aux pierres anguleuses qui disparaissent sous les feuillages moirés. Jeux de lumière, de textures, de couleurs, force des lignes et richesse graphique… La mise en scène de ce petit vestibule révèle tout de suite la forte personnalité artistique des maîtres des lieux et explore déjà un thème cher aux propriétaires : celui du passage onirique entre le monde réel et imaginaire.

De l’autre côté du miroir

Oubliés, les paysages normands ! Nous voici telle Alice découvrant son nouvel univers. Ici, les miroirs attendent notre reflet, renvoient notre curiosité tout en brouillant les espaces. Les multiples chemins nous perdent, s’enroulent en couloir vert, se dédoublent, se transforment, pour s’ouvrir sur de multiples pièces à rêver. Pensé et agencé comme une maison, Dominique souhaitait y retrouver les mêmes fonctions : manger, se détendre, dormir, lire, jouer… Ici, une moquette de mousse, là, un carrelage de tessons

d’argile, plus loin, un parquet de longues planches de bois apportent au cheminement son lot de surprises. Aux murs ? Des tapisseries tridimensionnelles aux couleurs d’Asie : « Au départ, nous ne connaissions rien au jardin ! Nous l’avons commencé dans les années 2000 après la construction de notre maison. Nous n’avions alors aucune prétention, juste le souhait de créer un petit espace extérieur à notre image avec, pour ma part, le rêve d’un potager », confie-t-elle.

Bocage asiatique

Après les premières plantations, la passion n’a cessé de grandir ! « D’année en année, nous avons essayé d’accueillir tout ce qui pouvait l’être sur notre terrain humide et acide : c’est donc tout naturellement que nous nous sommes tournés vers les plantes originaires de Chine, de

Corée ou du Japon. À chaque plantation, nous avons réfléchi avec notre propre vocabulaire : celui des arts en général, de la photographie ou de l’architecture en visualisant notre jardin comme une immense sculpture. Nous nous sommes appuyés sur nos connaissances, notre sensibilité, nos thèmes de prédilection et nos outils de plasticiens pour exaucer notre rêve de jardin. » Premier plan, arrièreplan, perspective, lignes de fuite, couleurs complémentaires… Tout y est ! Après 19 ans, le jardin contemporain « Intérieur à ciel ouvert » de Dominique et Benoît Delomez, ponctué d’oeuvres d’art et meublé de plus de 1 100 variétés (dont 136 taxons de fougères), force l’admiration ! Un jardin anticonformiste et poétique qui réveille les sens, où la circulation amène réflexion et méditation. Incontournable !

Page de gauche : le flamboyant Imperata cylindrica « Red Baron ». Le jardin « Intérieur à ciel ouvert » porte bien son nom. Tout le vocabulaire de la maison s’y retrouve : structuration des espaces, revêtement du sol et des murs, décoration… Ici, la mise en scène mêle habilement lambris, moquette de pouzzolane, tapisserie de lierre et mobilier de buis.

Délimitées, reliées, habillées, les chambres de verdure rivalisent de beauté. Électriques, les couleurs font vibrer un jardin surprenant décoré d’oeuvres d’art ou d’objets inattendus. Le canevas végétal, quant à lui, conjugue les effets de masse et la beauté des feuillages.

4. Linéaire d’un côté, tout en courbes de l’autre : le jardin d’aromatiques s’habille en noir, vert et rouge.

1. Pour la conception, Dominique et Benoît ont appliqué les grandes lignes du jardin asiatique, à l’instar du principe de miegakure japonais, qui utilise la végétation, les bâtiments ou les éléments de décors pour cacher ou montrer différentes parties selon la perspective de l’observateur.

2. Osez le minéral ! Il est le fil conducteur du jardin contemporain.

5. Oniriques et philosophiques, les oeuvres énigmatiques de Benoît sont un HORS-SÉRIE point fort du DÉCO jardin. >> AVANTAGES

3. Pour apporter rythme et mouvement, jouez avec les formes et misez sur la dualité des textures.

Verticalité, horizontalité, richesse du vocabulaire graphique : nous sommes bien dans le jardin de deux plasticiens qui sculptent, dessinent ou encadrent ! Ici, peu de fleurs mais une pluralité exceptionnelle de feuillages. En bas à droite, les fines cannes zébrées de la prêle japonaise.

4. Attirez le regard en privilégiant une couleur ou de gros feuillages. Ici un cotinus pourpre vole la vedette à une belle touffe de rodgersia.

1. Cachettes, chemins et perspectives donnent l’impression que le jardin est plus grand.

2. Pour imiter ce petit cercle zen, pensez aux feuillards métalliques destinés au cerclage des barriques !

5. Pensez aux effets de masse comme ici, sur la berge, avec le spectaculaire darmera peltata.

3. Contenez et surélevez vos plantations pour apprécier leur beauté. Ici, lierre, fougère, cheveux d’ange ou germandrée ébouriffent une bien jolie rocaille.