Rire sous cape (ou sous masque), c’est si bon ! Et comme « c’est le propre de l’homme », selon Rabelais, « et le savon aussi », ajoute Gelück, on n’a pas fini de pouffer
2020 aurait pu nous miner. Mais on continue de glousser sous notre masque. Rendons grâce à une génération de comiques, cash et connectés, qui ont ouvert les (bonnes) vannes.
Franchement, cette Covid n’a rien de drôle. Mais, miracle, on rit quand même. Le rire s’est infiltré partout, comme un rayon de lumière dans les failles de la crise. Pendant le confinement, on a tous échangé des photomontages potaches, des GIF marrants et des phrases percutantes. Quelques souvenirs… « C’est bien la première fois qu’un truc made in China dure aussi longtemps » ou « Bientôt, nous devrons chasser pour manger, et je ne sais même pas où vivent les lasagnes »… Enfin, notre préférée : « Météo des familles : Enfants 2, Ressenti 12. » Pour le psychiatre Christophe André1, pas de doute, « l’humour est un merveilleux antidote au virus ! Une véritable bouffée d’oxygène. Dans un contexte de “réclusion”, rire ensemble (malgré nos éloignements) grâce aux blagues qui circulent, c’est une bénédiction. Ça nous a fait un bien fou, en dédramatisant finalement tout ce qui nous arrive. Tourner en dérision, c’est conjurer le sort, et se dire qu’on va s’en sortir ».
RIRE EN RÉSEAUX
Instagram, TikTok, YouTube... parfois décriés, les réseaux sociaux ont cette fois joué un rôle précieux : nous distraire. Brouiller nos peurs. Les humoristes, privés de salles, ont trouvé là un moyen de s’exprimer malgré tout. D’autres se sont découvert de l’inspiration, une vocation, des followers. Les journaux de confinement de Pablo Mira, fondateur du site parodique Le Gorafi (anagramme du Figaro), ont fait le buzz, tandis que celui de Pierre
Emmanuel Barré, planqué dans les Cévennes avec madame, cumulait des milliers de vues. On a également découvert de nouveaux trublions, comme la scénariste et comédienne Lison Daniel qui, sur son compte Instagram @les.caracteres, le visage déformé par des filtres optiques, livre à ses 200 000 abonnés une galerie de personnages zinzins, d’Ivan le psy à Isabelle, l’aristo parlant avec une patate chaude dans la bouche. Ou comme Alice Moitié aussi, photographe et dessinatrice déjantée, qui se met en scène dans ses pires moments de blues, sous la couette, sans maquillage, avec un concombre… Ou encore comme Laura Felpin racontant ses peaux mortes ou ses pores dilatés dans des vidéos selfies courtes et bien trash. Et avec un maximum d’autodérision. Les réseaux sociaux, miroirs flatteurs d’habitude, désormais ridiculisent et enlaidissent, pour le rire et pour le meilleur. Pionnière en la matière ? L’Américaine Celeste Barber, plus de 7 millions d’abonnés virtuels, auréolée en 2017 d’un WhoHaha Award qui récompense la « dame la plus drôle d’Instagram ». En parodiant les poses et les looks des top models, elle a réussi… 1/À faire se gondoler la terre entière. 2/À décomplexer toutes les femmes. Pas rien.
TEXTES BRUTS
On se souvient tous du bon mot de Pierre Desproges : « On peut rire de tout mais pas avec n’importe qui. » Lui qui raillait le cancer alors qu’il luttait contre. L’adage est toujours vrai, n’en déplaise à ceux qui dénoncent un monde aseptisé. Prenez Blanche Gardin. L’ex-pensionnaire du Jamel Comedy Club déballe sur les attentats terroristes, le viol ou la sodomie avec un bel entrain. Et la mort aussi bien sûr… Illustration : « Pourquoi ces inscriptions sur les paquets de clopes ? Dès que tu nais, tu sais que tu cours un grand risque de mourir un jour. Ce n’est pas pour autant qu’il faut afficher des posters de corbillard dans les salles d’accouchement… » Blanche le clame : « Quand je suis persuadée que je tiens une idée, je vais à la guerre. » Et elle n’est pas la seule ! Aujourd’hui, on découvre pléthore de comiques dures à cuire, pour lesquelles rien ne semble tabou. Des filles biberonnées aux shows à l’américaine, avec un bon débit de parole, des voix flûtées et, surtout, des textes aiguisés. En clair, des nanas qui envoient du bois. En tête, Nora Hamzawi, trentenaire au débit de mitraillette, qui met en textes son hypocondrie, ses névroses, ses affres amoureuses. Ou Marina Rollman, fan de Jerry Seinfeld, qui, entre ses chroniques sur France Inter et son Spectacle drôle, va loin dans le grinçant (« Il y a des jours où tu as envie de mourir, mais tu as trop la flemme… »). Enfin, Melha Bedia qui se moque de son surpoids (« Pendant le confinement, j’ai surtout découvert que j’aimais plus le grignotage que la méditation Petit Bambou »). Cette génération a trouvé la clef pour oser pousser loin : rire de soi, avant de se moquer des autres.
1 Qui a signé un Rire et guérir : comment se débarrasser de ses angoisses, de ses phobies, de ses déprimes, illustré par Muzo, éd. Points. 2 Auteur de Leçon d’humour : rire pour rebondir - L’humour comme instrument du vivre ensemble, éd. Mols.
C’EST BON POUR LE MORAL
Selon le neuropsychiatre Boris Cyrulnik, nous venons de vivre un « traumatisme émotionnel ». On aurait pu s’effondrer ou céder à la « désilience », c’est-à-dire à l’impossibilité de nourrir de l’espoir. Nous avons préféré la déconne ! Parce que « l’humour est la politesse du désespoir ». Le psychopédagogue Bruno Humbeeck2 nous rappelle que « le rire est la manifestation du vivant. On a tenté de remplacer la maladie et le spectre de la mort par du vivant. Et la force de cette grande vague d’humour, c’est que, le plus souvent, il est bienveillant et délicat. Direct certes parfois, mais jamais avec l’intention de nuire, de blesser, donc d’exclure ». Au contraire, il inclut, concerne. Parle au plus grand nombre, car les « clowns » 2020 jouent la simplicité et la connivence. Le rire a aujourd’hui plus que jamais une autre fonction : la cohésion sociale. À l’heure de la distanciation et des règles barrières, il parvient à cette prouesse, nous rapprocher. Boris Cyrulnik évoque son « rôle solidarisant ». Bruno Humbeeck complète : « À mesure qu’il éloigne des sujets qui inquiètent, l’humour est vecteur de lien. » ■