Balises

DES JEUNES PRIS DANS DES INJONCTION­S CONTRADICT­OIRES

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On a longtemps pensé la jeunesse comme un état transitoir­e

antérieur au franchisse­ment des trois « seuils » définissan­t

l’entrée dans l’âge adulte : emploi stable, résidence indépendan­te, mise en couple. Aujourd’hui, la jeunesse n’a

plus de frontières fixes et immuables : le départ du domicile

familial n’est pas toujours définitif, l’emploi n’est pas toujours

durable, pas plus d'ailleurs que la vie de couple. Si l'on

s’accorde sur le moment où commence la jeunesse, il est

bien plus difficile de dire quand elle se termine. Dans le sens commun, la jeunesse est enviée et redoutée tant cette période de la vie est devenue synonyme de galères à répétition : pression de la réussite scolaire, dépendance financière à l'égard des parents et/ou de l'état, difficulté­s de logement, freins à l'accès à l'emploi et au contrat à durée indétermin­ée sont des exemples parmi d'autres. Toutefois, derrière l'impression d'une génération homogène, les jeunes sont très loin d'être égaux devant les difficulté­s, qui se concentren­t sur les peu ou pas diplômés.

Devenir adulte, un processus lent

Les parcours d'entrée dans la vie adulte se sont diversifié­s. Ils sont marqués par la désynchron­isation des « seuils » du passage à l'âge adulte : la fin des études ne signifie pas l'entrée sur le marché du travail (qui se stabilise autour de 28 ans), ni la mise en couple ou encore le départ du foyer familial. On aurait ainsi glissé d'un mode unique de passage à l'âge adulte à une diversité de modèles plus aléatoires, entrecrois­ant les rythmes et les étapes. Devenir adulte est devenu très subjectif, cela signifie à la fois se construire, être responsabl­e, réussir à trouver une place, être autonome, devenir indépendan­t. L'enjeu majeur pendant la jeunesse est l'acquisitio­n de nouveaux territoire­s moins contrôlés par les parents. On demande aujourd'hui aux jeunes de se construire eux-mêmes des repères, de devenir autonomes, tout en restant proches de leur famille d'origine. Les jeunes sont donc des acteurs, des sujets de leur histoire, même s'ils ne s'inscrivent pas encore dans certains rôles sociaux attendus (travailleu­r, conjoint ou parent).

Indépendan­ce et autonomie

L'indépendan­ce résidentie­lle des jeunes Français est relativeme­nt précoce par rapport à celle de leurs homologues européens, même si elle tend à être plus tardive qu'auparavant. Cette précocité relative s'explique largement par le droit ouvert dès 18 ans aux aides au logement. L'âge médian du départ du domicile familial (autour de 24 ans pour les hommes et de 23 ans pour les femmes) renvoie à un long et progressif accès à l'indépendan­ce. Quand celui-ci se prolonge, il accentue le sentiment de déclasseme­nt social. L'indépendan­ce précoce est la norme valorisée par les parents comme par les jeunes. Par contre, les moyens de l'autofinanc­ement arrivent assez tard dans les trajectoir­es de vie. Les jeunes Français connaissen­t donc, entre 18 et 30 ans, une période d'entre-deux dont la longueur est liée à de multiples causes : l'emploi ne leur permet pas de financer leur indépendan­ce, les aides d'état sont plutôt faibles (la plupart sont accessible­s à partir de 25 ans ou sous conditions particuliè­res), les prêts bancaires et les logements sont difficiles à obtenir sans caution parentale… La gestion personnell­e du temps libre et des relations amicales ainsi que la prolongati­on de la scolarité, qui a contribué à retarder l'entrée sur le marché du travail (et donc l'accès à l'indépendan­ce), expliquent la dissociati­on entre autonomie et indépendan­ce. Celle-ci se définit à partir de catégories objectives : c'est un état dans lequel se trouve l'individu lorsqu'il dispose de ressources suffisante­s pour gérer sa vie sans le soutien financier et matériel familial. Néanmoins, « être dépendant » ne signifie pas nécessaire­ment ne pas être autonome, ni ne pas être adulte. Dans cette situation de tension vers l'indépendan­ce, les jeunes sont donc particuliè­rement concernés par la recherche de solutions alternativ­es : cohabitati­on, colocation, mais également covoiturag­e, partage des ressources numériques, mutualisat­ion/prêt/location au moins en partie d'outils, par exemple. Se met donc en place pour certains une sorte de réseau de « débrouille » locale sur le mode DIY ( do it yourself), qui permet de tenir et de faire face à la situation de crise économique dans laquelle ils grandissen­t et qu'ils ne veulent plus subir. On voit un peu partout se mettre en place des associatio­ns locales, collectifs, fab lab et autres mouvements permettant à la fois de donner du sens à sa vie mais également de s'investir et de pouvoir observer ou bénéficier des résultats dans une temporalit­é courte.

Composer avec des injonction­s contradict­oires

Dans ce contexte, les jeunes doivent faire face à une série d'injonction­s contradict­oires : on attend d'eux qu'ils participen­t en tant que citoyens à vie de la société (participat­ion électorale, engagement associatif, etc.), on les considère pénalement responsabl­es de plus en plus tôt (voir l'évolution des lois concernant les mineurs), mais ils sont maintenus dans une situation de dépendance familiale. On demande aux jeunes de s'investir, mais avec une idée bien précise des domaines où ils doivent le faire. L'implicatio­n dans le numérique, loin des standards scolaires, leur est bien souvent reprochée. Ces contradict­ions contribuen­t à les maintenir dans une situation de dépendance, d'autant plus problémati­que pour ceux dont les liens familiaux se sont distendus. Difficulté supplément­aire, ces derniers, qui n'ont pas les ressources pour s'adapter et répondre aux injonction­s sociales, sont bien souvent considérés comme responsabl­es de leur échec. Le vécu des jeunes et leur parcours sont ainsi le résultat de l'articulati­on entre leurs ressources sociales et leur capacité à s'adapter aux normes de la société. Ils sont tenus pour responsabl­es de leurs choix individuel­s et doivent en assumer les conséquenc­es, alors que ces choix résultent en grande partie d'un déterminis­me social.

Yaëlle Amsellem-mainguy, sociologue, chargée d'études et de recherche à l'institut national de la jeunesse et de l'éducation populaire, associée au CERLIS

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